Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Polonais et Allemands, les liaisons dangereuses…

 

 

GS – 22 juillet 2015

 

 

 

Respol71 a pour objectif de faire sortir de l’ombre la résistance polonaise à l’œuvre dans les bassins industriels de Saône-et-Loire, lui rendant la place qu’elle mérite aux côtés de la résistance française. Le site procède par là d’une certaine glorification de la population polonaise immigrée…

Or ce positionnement m’est parfois reproché par de vieux amis, qui ont gardé le souvenir de l’attitude plus qu’amicale que les Polonais de leur connaissance eurent avec les Allemands, surtout dans les premiers temps de l’occupation.

 

Cette page illustre cette question, à partir de deux documents trouvés récemment aux archives départementales de S&L : d’une part une statistique des travailleurs volontaires en Allemagne en 1942, de l’autre un témoignage sur les rapports des filles polonaises avec les soldats, en 1940. Il ne s’agit donc pas d’une étude scientifique de la question, travail complexe qui sort du cadre de mon projet, mais de deux photographies qui révèlent l’existence d’un réel questionnement.

 

 

 

 

Le travail volontaire en Allemagne

 

 

Le contexte : procédant d’abord du simple volontariat, dont  les usines du Reich avaient grand besoin, le travail volontaire des ouvriers qualifiés en Allemagne fut favorisé par Pierre Laval, à son arrivée au poste de chef du gouvernement du maréchal Pétain, le 18 avril 1942. Il négocia avec les Allemands le système habile de "la Relève" : l’envoi de travailleurs volontaires entraînerait le retour en France, en moindre nombre cependant, de prisonniers de la campagne de 1940.

Une liste nominative élaborée par le bureau de Montceau-les-Mines du service de la main-d’œuvre française en Allemagne donne un état des départs durant les premiers mois de "la Relève", de juin à août 1942. Pour les étrangers, il ne fait sans doute que prolonger les tendances antérieures ; pour les Français, il devrait donner des indications sur l'efficacité de la propagande en faveur du nouveau dispositif.

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Les engagements étaient pris auprès du bureau de la main d’œuvre, une institution du gouvernement de Vichy, et les départs de Montceau s’effectuaient en autocar chaque dimanche.

Sur les onze départs qui s’échelonnèrent du 21 juin au 23 août 1942, la liste retrouvée indique qu’il y eut 120 volontaires, issus des communes du bassin minier, dont…

 

84 Polonais  (58 hommes et 26 femmes)

26 Français  (11 hommes et 15 femmes)

8 Italiens (5 hommes et 3 femmes)

1 Belge et 1 Algérien

 

Les Polonais, qui constituaient environ 19% de la population avant la guerre, représentaient, ces mois-là, 70 % des travailleurs volontaires !

Nul doute par contre du très faible succès de "la Relève" auprès des Français, raison pour laquelle elle sera finalement remplacée par le STO (service du travail obligatoire), en février 1943…  

 

 

 

Les jeunes-filles polonaises et les soldats

 

Le dénommé Fernand faisait partie du corps des gardes de la compagnie des Mines de Blanzy.

 

 

                                                        Montceau-les-Mines, le 11 août 1940

 

RAPPORT du Brigadier-garde FERNAND, sur un incident survenu entre le rédacteur du présent d’une part et trois femmes polonaises et quatre militaires allemands d’autre part.

_________________

 

Le 11 août 1940 à 12h30 de verse et me trouvant vers le pont de la Bourbince près de l’Estacade, sur lequel passe la voie ferrée normale, j’ai vu trois femmes polonaises  à bicyclette s’engager sur le territoire de la Mine, à la barrière de l’Estacade. Je me suis avancé à leur rencontre et je  les ai interpellées comme elles arrivaient sur le pont, en leur demandant où elles allaient. Elles m’ont répondu qu’elles allaient au cantonnement des soldats allemands près des fours Brunck. Sur ma demande elles m’ont fait connaître qu’elles n’avaient pas d’autorisation écrite pour circuler sur le territoire de la Mine. Je les ai alors invitées à faire demi-tour en leur faisant observer que le chemin qu’elles suivaient n’était pas public. Elles ont discuté un moment en insistant pour que je les laisse passer et finalement elles ont fait demi-tour et sont parties en maugréant. Elles ont repris la route du Bois-du-Verne et se sont arrêtées au passage effectué pour les troupes allemandes pour se rendre à leur cantonnement des fours Brunck, où elles ont stationné. Un militaire allemand (gradé) étant arrivé, elles ont parlementé avec lui puis ce militaire et l’une des trois femmes sont venus me trouver à mon poste d’observation vers le pont de la voie normale. Le militaire m’a dit en allemand que c’était sa femme et j’ai compris qu’il me demandait de laisser passer cette femme polonaise et ses deux camarades. Je m’y suis formellement opposé en disant que c’était interdit. A ce moment, la femme s’est mise à gesticuler et je lui ai demandé son nom ; elle m’a répondu en français : « Encore ça » et tendant son postérieur en arrière, elle s’est tapé sur les fesses en disant : « Tiens pour toi » et aussitôt elle a voulu s’en aller avec sa bicyclette à la main. J’ai saisi la bicyclette à l’arrière et j’ai invité à nouveau sa conductrice à me donner son nom. Le militaire allemand est alors intervenu et d’un air menaçant m’a dit : « Mein Fahrrad » en me saisissant par le bras qui retenait la bicyclette pour me faire lâcher prise. J’ai dit à ce militaire que son geste serait porté à la connaissance de la Kommandantur ; il m’a répliqué : « Kommandantur, Kommandantur, Ich, Kommandantur ». Comme il continuait à s’opposer à mes desseins, c’est-à-dire identifier la polonaise, je n’ai pas insisté davantage afin de ne pas envenimer l’incident. La femme est allée rejoindre ses deux camarades qui étaient restées près de l’entrée du passage et le militaire est allé au cantonnement des fours Brunck en me lançant des regards menaçants.

Un instant après, trois autres militaires allemands, de passage sur la route, ont été interpellés par les trois polonaises et peu après j’ai vu ces trois militaires venir dans ma direction. Ils m’ont entouré et l’un d’eux a tâté mes poches en disant : «  Nicht revolver », ce à quoi j’ai répondu négativement. De par leurs gestes et en disant « Meine Frau » j’ai compris qu’ils me demandaient le passage des trois femmes. Je leur ai répondu en mauvais allemand qu’elles n’avaient pas d’autorisation et que la circulation des civils était interdite à cet endroit, ils m’ont répliqué : « Nein verboten ». Après avoir encore parlementé un instant, l’un des trois militaires a fait signe aux trois femmes qui observaient de loin en criant : « Komme, komme ». Aussitôt la même femme s’apprêtait à venir, ce que voyant, je me suis avancé vers elle pour l’empêcher d’obéir à l’invitation des trois militaires et un de ces derniers m’a suivi une dizaine de mètres. Ses deux camarades l’ont rappelé, la femme a fait demi-tour et tous les six se sont rejoints sur la route, au passage à niveau des agglomérés, et sont partis dans la direction de Montceau, par l’Avenue des Puits.

J’ajoute que quelques minutes avant que les trois femmes interpellent le premier militaire dont il est fait état, elles avaient encore interpellé deux autres soldats allemands venant des fours Brunck, en automobile, mais ceux-ci, que les femmes semblaient bien connaître, à en juger par les gestes d’amitié qu’elles leur faisaient, ne sont pas intervenus et ne leur ont seulement parlé qu’un instant.

                                      Signé : FERNAND

 

 

  

Cette anecdote, qui nous surprend d’emblée par la témérité du garde Fernand, se passe au tout début de l’occupation, moins de deux mois après l’arrivée des Allemands. Les fours Brunck étaient d’anciennes installations des mines de Blanzy, dont il ne restait que de grands hangars. Ironie de l’histoire, c’est au même endroit que les soldats allemands prisonniers des combats de la Libération allaient être détenus.

Ce genre de récit allait rapidement faire le tour de la ville et asseoir la réputation initiale des Polonais ; les mois passant, d’autres histoires allaient impliquer de même façon des jeunes femmes de toute nationalité.

 

 

 

Conclusion

 

Ces deux épisodes expliquent en tout cas des opinions encore entendues aujourd’hui, raison de plus à mettre en regard l’importante participation des Polonais à la Résistance.

Comprendre le phénomène exige de revenir sur l’histoire de la Pologne ; la majorité des immigrés polonais arrivaient des zones de la Pologne occupées jusqu’en 1918 par l’Allemagne ou par l’empire austro-hongrois. La langue allemande était familière à la plupart des adultes. Bien plus, bon nombre des premiers arrivants venaient non pas des provinces de la Pologne occupée, mais d’Allemagne-même, des mines de Westphalie où leurs familles étaient installées parfois depuis la fin du 19ème siècle. Les hommes étaient nombreux à avoir fait la guerre de 14-18 dans les rangs allemands… Même si, par fidélité à la nation polonaise, ils avaient préféré venir travailler en France plutôt que d’adopter la nationalité allemande, ils n’en conservaient pas moins une familiarité certaine avec le monde allemand, sa langue, son quotidien. Partir travailler en Allemagne était une aventure angoissante pour un Français. Pour un Polonais cela pouvait n’être qu’un retour passager dans un monde industriel et humain connu, où vivaient parfois encore des parents. C’était en tout cas un rapprochement géographique d’avec la Pologne, peut-être l’espoir secret d’aller y passer une permission… Nous avons signalé dans un autre article de ce blog (voir ici) comment l'Internationale communiste utilisa ce travail polonais en Allemagne pour expédier des cadres aguerris de France en Pologne.

 

Réponse de la résistance polonaise - C’est pour lutter contre cette proximité avec le monde allemand que la POWN, dès son implantation, se donna pour axe d’action prioritaire dans les quartiers la propagande contre le travail en Allemagne, appliquant en cela les consignes du gouvernement en exil à Londres : Vingt-et-un an après l’indépendance recouvrée, un patriote polonais, dont le pays était à nouveau envahi par les Allemands et les Russes, devait se faire un devoir de ne pas partir travailler pour l’industrie de guerre hitlérienne.  La longue liste des volontaires de l’été 1942 montre qu’en effet, à son arrivée à Montceau le 14 juillet de cette année-là, le chef de la POWN, Jan KULPINSKI, avait fort à faire pour redresser la situation…

 

 

 



25/07/2015
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