Résistance polonaise en Saône-et-Loire

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GASTON 2 : La chute du groupe de combat

 


L'ensemble de l'affaire ici résumée en quatre pages fait l'objet d'un long article publié dans le n°157 de décembre 2012 de la revue "la Physiophile", éditée à Montceau-les-Mines. Vous pouvez vous procurer ce numéro en contactant la revue - cliquez ici

 

L'histoire est celle du premier groupe de combat mis en place par la MOI à Montceau-les-Mines ; ayant commencé ses actions fin septembre 1943, il fut démantelé début octobre (*)… En tant qu'organisation, la MOI arrêta alors son action militaire dans le bassin minier montcellien et privilégia durant plusieurs mois l'action politique et le développement dans les quartiers. Les FTP-MOI ne retrouvèrent une place dans les actions militaires de la résistance qu'en avril 1944, au sein de ce qui deviendra le maquis Mickiewicz…

 

Partie 1 - L'arrivée d'un chef militaire FTP-MOI en septembre 1943 - cliquer ici

Partie 2 - La chute du groupe de combat - lire ci-dessous

Partie 3 – La mémoire effacée de ce drame - ici.

Partie 4 – Biographie d'Henri Pawlowski "Gaston" - cliquer ici

 

 

(*) Jean-Yves Boursier le signale dans son livre Chroniques du maquis (1943-44), FTP du camp Jean Pierson et d'ailleurs - l'Harmattan 2000.

 


 

 

Partie 2 - La chute du groupe de combat

 

 

Les arrestations des 7 et 8 octobre 1943  [1]

 

Dans les archives policières, l'affaire "Gaston" commence par la plainte d'un habitant de Sanvignes, Claude Brelaud, menuisier-charron demeurant le quartier de la Guillemette et victime d'un vol de vélo. Un avis de recherche de la compagnie de gendarmerie de Saône-et-Loire, appuyé sur le procès-verbal de la section de Montceau, rapporte que, le samedi 2 octobre 1943, vers 18h15, le vélo du citoyen Brelaud lui a été volé par trois inconnus eux aussi à vélo, qui l'ont menacé d'un pistolet.
Les agresseurs ont abandonné un de leurs engins, une machine de marque "Berger", équipée de tuyaux d'arrosage en guise de pneus et démunie de plaque d'identité. Le vélo dérobé en remplacement, de marque "Savre", est en parfait état et porte deux pneus neufs ½ ballon Bergougnan. Le préjudice est estimé à 2.000 Frs,  environ un mois de salaire en ce temps-là.

Seul le lieu du vol reste discuté : Les gendarmes le situent devant la ferme Vergnaud, entre le bourg de Sanvignes et les Gautherets, tandis que certains soutiennent qu'il a été commis sous le hangar du forgeron Chandioux, voisin de Brelaud, à la Guillemette-même. Les gendarmes auraient volontairement déporté la scène dans un endroit désert pour éviter que soit entendue l'épouse Brelaud, qui avait déclenché dans le bourg un scandale potentiellement préjudiciable à tous en cas de descente de la police allemande.

Un autre vol de vélo, survenu dans le village voisin de Saint-Bérain-sous-Sanvignes le 28 septembre précédent, est imputé aux mêmes individus.

Il se trouve que dans cette période de restriction, la bicyclette est devenue un bien infiniment précieux et convoité, indispensable pour aller au ravitaillement dans les campagnes environnantes. En parcourant les rapports quotidiens du commissariat de police de Montceau-les-Mines au fil de ces années d'Occupation[2], on découvre que le vol de vélo est un méfait des plus communs : il n'est pas de journée sans qu'un citoyen vienne porter plainte. Par suite tout le monde est sensibilisé à cette question, et chacun ira sans sourciller prêter la main pour arrêter un voleur de vélo. C'est ce qui se passe quelques jours plus tard, le jeudi 7 octobre, quand le citoyen Brelaud reconnaît un de ses agresseurs et sans hésiter bondit pour le ceinturer, aidé par quelques passants… Les gendarmes arrivent rapidement et se saisissent de l'homme qui, devant leurs arguments sans doute convaincants, va indiquer le nom de ses complices.

C'est ainsi que se retrouvent sous les verrous, à la gendarmerie de Montceau, le soir du 7 octobre 1943 :

 

  • Smolarz Alojzy,     né le 26 janvier 1913 à Knurow (Pologne occupée, Silésie), mineur, demeurant le quartier des Essarts, commune de Sanvignes,
  • Kuchta Jan,     né le 27 février 1920 à Niemce (Pologne occupée), mineur, demeurant au Bois-Bouché, proche des Baudras, commune de Sanvignes,
  • Szewczyk Stanislaw,     né le 27 novembre 1917 à Szczaworyz (Pologne occupée), mineur demeurant aux Essarts, commune de Sanvignes,
  • Piron Henri,     apparemment né à Toulouse en 1919, employé, demeurant à Montceau.

 

La fouille des demeures apporte une moisson bien compromettante : Au n°7 de la rue Jean-Bouveri, dans la cave d'Henri Piron, se trouve le vélo de Claude Brelaud : les marques de la machine et de ses accessoires ont été limées, une nouvelle plaque d'identité a été posée au nom d'Henri Piron. Dans l'appartement les gendarmes retrouveront des explosifs, des munitions ainsi que des instructions ronéotypées sur l'usage des grenades allemandes et sur les procédés de destruction des installations électriques. Dans la cave des Szewczyk, on retrouve, démonté et enterré, l'autre vélo, de marque Peugeot. Le père de Stanislaw,  Jozef Szewczyk,  né en janvier 1893 à Blonski (Pologne), est aussitôt arrêté lui-aussi pour recel.

 

 

 (les photos s'agrandissent en cliquant dessus)

 

D'autres personnes sont repérées et recherchées, d'abord une femme, qui accompagnait Henri Piron au moment de son arrestation et qui a réussi à fuir ; la description qui en est faite par les gendarmes montre qu'il s'agissait de son agent de liaison avec Paris. Deux hommes sont aussi approximativement identifiés ; le nom relevé paraît correspondre au beau-frère de Smolarz, Jozef Szaszczak.

 

Les prisonniers restent d'abord à la gendarmerie de Montceau, puis l'affaire est transmise au juge d'instruction d'Autun qui fait transférer immédiatement les cinq arrêtés dans la prison de la ville. Plusieurs documents conservés aux archives départementales permettent de retracer cette période. Le registre d'écrou de la prison d'Autun – voir photo - est particulièrement émouvant car on comprend que, pendant cette détention, la première identité de "Gaston", celle d'Henri Piron, a été percée. Le registre est marqué d'un épais correctif à l'encre rouge et la case Nom-Prénom, devient "Pierson Henri, Jean, André, s'étant dit Piron…."   Une pelure était partie ; Henri Pawlowski retrouvait sa fausse identité parisienne, ce qui permettra aux policiers - le 13 octobre 1943 - d'alerter leurs collègues de la capitale car il avait également indiqué une adresse à Paris, celle d'une planque située au 19, passage Charles Dallery, dans le 11ème arrondissement.

Probablement donc, "Gaston" a-t-il lâché ce renseignement, en même temps que son identité de Pierson, dans les tout premiers jours de son arrestation, entre le 8 et le 13 octobre, alors qu'il était détenu par la justice française.

 

 

-  registre d'écrou de la prison d'Autun - ADSL / cote 1328W1 -

 

Dans un ouvrage publié en Pologne bien des années plus tard, l'auteur Krystyna Kozlowska rapporte le témoignage de Zofia Kokot (nom de guerre "Władka"), éclairant sur les conditions dans lesquelles
ces aveux ont été obtenus : "Au début "Władka" et la mère d'un des résistants, Mme Szewczyk, sont allées près de la prison (certainement les cellules de la gendarmerie) pour avoir des nouvelles concernant les arrêtés ; plus tard elles ont porté des colis avec des vêtements et de la nourriture. Un jour elles ont appris qu'ils avaient été transférés à la prison d'Autun, comme prisonniers politiques. Là-bas la Gestapo (sic) maltraitait les prisonniers. Les deux femmes ont été témoins de l'un des "interrogatoires". Elles n'ont pas reconnu les résistants, tellement ils étaient massacrés (…). Les torturés ont aperçu "Władka" mais personne n'a rien dit, bien qu'elle ait été leur agent de liaison et qu'elle les ait mis en contact avec "Gaston", le responsable local des résistants."[3]

 

Or à Paris la BS2[4] est alors en pleine poursuite de l'ensemble de l'organisation FTP-MOI de la capitale, dont de nombreux membres sont déjà filés et sur le point d'être arrêtés… Le commissaire politique de l'organisation pour la région parisienne, responsable aux effectifs, Jozef Dawidowicz, sera arrêté le 26 octobre et rapidement retourné par la police, ce qui précipitera la chute des autres (Missak Manouchian ainsi que Jozef Epstein, le responsable militaire de l'ensemble des FTP parisiens, tomberont le 16 novembre). L'appartenance d’Henri au groupe Manouchian sera rapidement établie, d'après la mémoire familiale grâce justement aux révélations de Dawidowicz. La fouille de sa planque permettra de trouver de nouveaux documents attestant de son activité résistante.

 

Le 9 novembre, les cinq prisonniers sont remis à l'autorité allemande, qui les emmène au quartier allemand de la prison de Chalon-sur-Saône, entre les mains de Hans Krüger, chef local de la SIPO-SD. Aucun document n'a été retrouvé sur cette période ; on possède seulement le tardif témoignage de Jan Kuchta, qui dit y avoir été à nouveau cruellement battu.

Le sort des cinq hommes va alors diverger : les quatre mineurs polono-montcelliens seront transférés vers Dijon puis Compiègne et de là partiront, le 27 janvier 1944, dans un convoi de 1584 prisonniers vers le camp de Buchenwald. Trois d'entre eux y trouveront la mort : Jozef Szewczyk, le 20 avril 1944, Alojzy Smolarz, le 29 avril, Stanislaw Szewczyk (fils), le 3 mai ; seul Jan Kuchta survivra et se fera rapatrier en Pologne.

 

 

Mort de "Gaston"

 

Henri Pawlowski, lui, sera assassiné par les Allemands de Chalon, le 13 novembre 1943. Les circonstances exactes de cet assassinat ne sont pas connues.

Selon le résistant David Diamant[5], il aurait « été atrocement torturé sans qu’on parvienne à lui arracher un mot puis après un simulacre de procès à Chalon-sur Saône, il est condamné à mort. Le 16 novembre 1943, il tombait courageusement à Blanzy sous les balles allemandes».

Cependant, soixante-sept ans plus tard, Jan Kuchta semblait penser qu'il était mort pendant les interrogatoires ; c'est aussi la version que Zofia Kokot a confié à sa famille. Tout porte à croire en effet qu'il fut soumis à des violences terribles.

 

 

Le récent livre de Roland Tatreaux[6] a mis en évidence la bestialité du personnage de Krüger, façonné par le parti et l'idéologie nazis, acteur lui-même de massacres de Juifs et de résistants en Pologne.

 

Selon une autre version, Henri aurait été abattu lors d'une tentative de fuite, à l'occasion d'une reconstitution d'un déraillement, opérée par les enquêteurs allemands. Aucun document n'a été retrouvé dans ce sens, mais on pourrait y voir une corrélation avec la mention de Blanzy donnée par David Diamant ; l'hypothèse a l'avantage d'évoquer une dernière image lumineuse d'Henri Pawlowski, les poumons gonflés d'oxygène, courant éperdument, libre, pour échapper à jamais à ses tortionnaires…

 

Quoi qu'il en soit, le 13 novembre 1943, à 20 heures, les Allemands déposaient le corps sans vie d'Henri à l'hôpital de Chalon-sur-Saône, ce dont atteste l'acte de décès conservé au service de l'état-civil chalonnais. Etabli au nom d'Henri PIERSON, le document implique aussi que les Allemands n'avaient pas réussi à lui faire révéler sa vraie identité…

 

C'est finalement sa famille qui, longtemps après la guerre, fera le lien avec le fusillé de Chalon ; ses sœurs connaissaient sa fausse identité parisienne et savaient qu'il avait été envoyé en Saône-et-Loire. Le corps d'Henri PIERSON est alors relevé du cimetière de Chalon, et, le 25 octobre 1949, celui d'Henri PAWLOWSKI rejoint le tombeau familial, dans le secteur juif du cimetière parisien de Pantin. Sur sa sobre tombe, 86ème division, 16ème ligne, 40ème tombe, on peut déchiffrer aujourd'hui encore : Henri PAWLOWSKI, lieutenant FTP – Fusillé le 16 (sic) novembre 1943 par les Allemands, âgé de 19 ans.

 

 

-  La tombe d'Henri Pawlowski, au cimetière de Pantin  -

 

Là s'arrête le récit proprement dit de l'activité éphémère de Henri Pawlowski à la tête de la résistance FTP-MOI du bassin montcellien, telle qu'elle peut être reconstituée aujourd'hui, alors que tous les témoins directs ont disparu. Il reste à comprendre pourquoi cet épisode est resté si longtemps entouré d'un mystère surprenant…

 

Lire la suite :

 

Partie 3 – La mémoire étouffée de ce drame - cliquer ici.

Partie 4 – Biographie d'Henri Pawlowski "Gaston" - cliquer ici.

 
(ou retour sur la partie 1 - L'arrivée d'un chef militaire FTP-MOI en septembre 1943 - cliquer ici )

 

[1]  Ces évènements sont assez précisément documentés par des procès-verbaux ou par des attestations diverses que l'on retrouve aux archives départementales de Mâcon, ou au Service Historique de la Défense (archives de la Gendarmerie à Vincennes, Bureaux des Archives des Victimes des Conflits contemporains BAVCC à Caen).

[2] Cote aux AD S&L 1W1259

[3]  Krystyna Kozlowska, Polki w Résistance (= les Polonaises dans la Résistance), éditions du Ministère de la Défense Nationale, Varsovie, 1977. 

[4]  Brigade Spéciale n°2 des Renseignements Généraux de la Préfecture de Police, unité constituée pour faire la chasse aux terroristes.

[5] David Diamant, Combattants, Héros et Martyrs de la Résistance, éditions du Renouveau, 1984.

[6] Roland Tatreaux, Hans Krüger, chef de la SIPO-SD à Chalon-sur-Saône 1943-1944, chez l'auteur, MMXII.  (SIPO-SD = Police de Sécurité allemande).

 

 

 



28/01/2013
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