Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Henri PAWLOWSKI, éphémère chef militaire FTP-MOI

 

Connu dans le bassin montcellien sous son nom de guerre de "Gaston", sa véritable identité n'apparaît qu'en 2000, dans le livre de J.Y Boursier sur les FTP du maquis de Collonge (*). Il ne fit en effet qu'un très bref séjour avant d'être arrêté par la gendarmerie française le 8 octobre 1943, puis exécuté par les Allemands. Le récit détaillé du volet montcellien de son action fait l'objet de trois articles de ce blog :

 

Partie 1 - L'arrivée d'un chef militaire FTP-MOI en septembre 1943 - cliquer ici.

Partie 2 - La chute du groupe de combat - cliquer ici

Partie 3 – La mémoire étouffée de ce drame - cliquer ici.

 

Cette page vous présente ce qu'avait été sa vie, dépuis sa naissance en Pologne...

 

 

(*) Chroniques du maquis (1943-44), FTP du camp Jean Pierson et d'ailleurs - l'Harmattan 2000.

 


 

Les origines familiales

 

Celui qui deviendra "Gaston", Hersz Pawlowski, est né parmi la communauté juive de Kalisz, en Pologne, le 7 juin 1923, de Kaufman Pawlowski (né à Konin, le 2 avril 1892) et de Chaja Margulies (née à Kalisz, le 1er juin 1897).

La famille paternelle compte douze enfants, les oncles et tantes du petit Hersz, dont quatre émigreront vers la France. Misère accrue dans la Pologne qui vient de recouvrer son indépendance, le 11 novembre 1918, désir  de fuir l'antisémitisme qui ronge le jeune Etat, mais souvent volonté aussi de se libérer de cadres sociaux et culturels trop rigides de la société juive, c'est en masse que les Juifs de Pologne émigreront vers l'Ouest de l'Europe à cette époque.

Leur émigration sera parallèle à celle des paysans et ouvriers de culture catholique qui peupleront bientôt les bassins miniers de France et de Belgique.

Simon, l’ainé, est le premier à partir, au milieu des années 20 ; il emmène avec lui sa jeune épouse et leur petite fille Colette, née en mars 1922. Il vient s'installer à Metz, où il exerce le métier de tailleur ; un fils, Bernard, naîtra en mars 1928.

 

Son frère Kaufman, le père de Hersz, va le suivre rapidement, avec Chaja et l'enfant. Lui-aussi s'installe comme tailleur et s'efforce de s'adapter à la société française ; afin de faciliter son intégration, il fait appeler son fils Henri. Si sa situation économique est rapidement prospère, la famille traverse bientôt une crise majeure, car Kaufman et Chaja se séparent, Chaja quittant le logis en laissant Henri avec son père. Celui-ci s'éprend d'une autre femme, Raca Jachimowicz, née à Dzialoszyn, le 17 octobre 1900, et venue elle-aussi à Metz avec sa famille. Le 20 juillet 1933, Raca met au monde une fillette, Jacqueline, la demi-sœur d'Henri. Kaufman va devoir clarifier la situation : il engage une procédure de divorce d'avec Chaja, lequel est prononcé le 25 janvier 1934 (Chaja continuera cependant de porter le nom de Pawlowska) ; il décide également de quitter Metz et part s'établir à Hayange avec sa nouvelle compagne Raca et les deux enfants, la petite Jacqueline et Henri, dont il a obtenu la garde. Ils arrivent à Hayange le 7 mai 1934, Henri a 11 ans ; Kaufman y installe un commerce au 98 de la rue Foch, à l'enseigne du "Tailleur parisien". A la fin de l'année, le 31 décembre 1934, il épouse Raca Jachimowicz et reconnait simultanément la petite Jacqueline.

 

Durant ces années, deux sœurs de Simon et Kaufman, Chawa et Esther Pawlowski, nées respectivement en 1906 et 1912, avaient quitté à leur tour la Pologne pour la France. Arrivées à Metz, elles partirent vite à Hayange rejoindre Kaufman ; mais rapidement c'est à Paris qu'elles allèrent s'établir, y fondant chacune  une famille : Esther y épouse un ouvrier français, militant communiste du 20ème arrondissement, Maurice Condat. Un enfant, Marc, leur naîtra en 1942. Chawa devient la compagne d'un jeune Juif polonais, David Jozefowicz, né en 1904 à Sieradz (Pologne) et  met au monde un fils, Marcel, en 1934.

A l'instar de la majorité de l'émigration juive polonaise, toute la famille, sa branche lorraine comme sa branche parisienne, est résolument engagée à gauche, les uns se reconnaissant dans le mouvement socialiste du Bund, si puissant dans le prolétariat juif polonais (c'est le cas de Kaufman), les autres dans le mouvement communiste. Tous ont une fervente admiration pour la France, qui rayonne  alors du prestige des Lumières et de sa Grande Révolution ainsi que de la réhabilitation de Dreyfus ; tous ont le pressant désir de s'y fixer. C'est le milieu familial, vaste et chaleureux, où grandit Henri ; à la maison on parle le Yiddish, lui s'exprime indifféremment en Français et en Allemand, comme tous les jeunes Lorrains ; peut-être possède-t-il quelques rudiments de Polonais. La famille a acquis une aisance certaine.

 

 

La guerre et les déportations

 

Mais la guerre arrive, qui va ruiner bien des vies et mettre d'abord d'immenses cohortes sur les routes. Quittant Metz, Simon Pawlowski et sa famille vont se réfugier au Puy, où ils passeront sans ennui majeur les années d'occupation. Devant l'avance allemande, Chawa quitte Paris et part se réfugier avec le petit Marcel dans un village de la Sarthe, Vibraye. Leur situation est rapidement assurée puisqu'ils sont hébergés par le maire de Vibraye, Aristide Gasnier, dans une demeure qu'il possède rue des Sablons.
David Jozefowicz, qui s'était engagé dans la Légion étrangère en septembre 1939 et avait été blessé durant la campagne de juin 1940,  les rejoint bientôt et le couple se marie en mairie de Vibraye ; un second enfant, André, va naître en octobre 1940.

A peine était-elle installée à Vibraye que Chawa y avait invité son frère Kaufman et sa famille, inquiète qu'elle était de leur sort dans cette Lorraine que les Allemands allaient annexer. Le 24 mai 1940, Kaufman, Raca, Henri et Jacqueline quittent donc Hayange, indiquant leur destination aux autorités, conformément à la législation d'alors (c'est ce formulaire de suivi des habitants qui m'a aidé à retracer leur histoire). Ils s'installent aussi dans la maison de la rue des Sablons, qu'ils occuperont bientôt seuls, car Chawa l'aura quittée pour revenir à Paris, d'abord pour accoucher puis pour bénéficier de l'appui de sa sœur et de sa belle-famille française ; en effet un premier drame a frappé la famille, début 1941 : David Jozefowicz, qui avait eu l'imprudence de se déclarer comme Juif, est arrêté, détenu dans les camps de Pithiviers puis de Drancy où il meurt de maladie en décembre 1941, laissant Chawa seule avec ses deux enfants en bas âge.

Restée à Vibraye, la famille de Kaufman y passera presque deux années sans incident notable. Ils vivaient sur l'argent économisé en Lorraine, et en faisant des petits travaux de tailleur ou de couturière. Henri, alors âgé de 17-18 ans jouait à l'occasion, à la demande du maire Gasnier, le rôle d'interprète pour les Allemands qui occupaient le village.

- Jours heureux à Vibraye - Henri est le premier baigneur à G -

 

L'année 1942 sera celle de la tragédie. Ont-ils dû porter l'étoile jaune en mai ? Très probablement, car ils avaient été recensés comme Juifs par la préfecture de la Sarthe dès novembre 1940.

Durant l'été 1942, en application des mesures antisémites du gouvernement de Vichy, se déclenche la rafle des Juifs étrangers du département ; la connaissance personnelle qu'ils avaient du maire Gasnier ne leur fut d'aucune utilité[1]. Raca est d'abord arrêtée par la police allemande, le 9 octobre 1942 ; Henri et son père, absents de la maison à ce moment, réussissent à échapper. Quant à la petite Jacqueline, elle est d'abord recueillie par le maire, qui la remet finalement aux gendarmes français. Elle se retrouve ainsi avec sa maman au camp de transit de Mulsanne, dans la banlieue du Mans, où étaient détenus auparavant les Tziganes ; elles sont transférées vers Drancy, le 18 octobre au matin[2].
Le 6 novembre 1942, elles sont embarquées dans le convoi n° 42, à destination d'Auschwitz où elles sont bientôt assassinées par gazage. C'est le sort qu'a déjà subi Chaja Pawlowska, née Margulies, la mère d'Henri, arrêtée quelque temps auparavant à Lunéville. Le Memorial de la Shoah nous indique qu'elle a quitté Drancy par le convoi n° 11 du 27 juillet 1942.

De leur côté, Kaufman et Henri se sont dirigés vers Paris, où ils espèraient trouver un refuge grâce aux relations familiales d'Esther. Mais la survie y est bien difficile car la population juive étrangère vient d'être décimée par la rafle du Vel' d'Hiv. (16 juillet 1942). Le père et le fils se séparent, Kaufman décidant de passer en zone non occupée et de se réfugier dans le Sud de la France. Il aboutit finalement à Nice où l'occupation italienne se fait sans persécution des Juifs ; il loge à l'hôtel National. La protection du lieu s'avèrera illusoire, car bientôt les Allemands prennent la place des Italiens et organisent de gigantesques rafles : le 22 novembre 1943, Kaufman est arrêté  alors qu'il s'est réfugié en Italie - (voir - traque des Juifs de Nice), transféré sur le champ à Drancy, où il arrive le 23 novembre, et de là envoyé lui-aussi à la mort, à Auschwitz ; il part dans le convoi n° 64 du 7 décembre 1943.

 

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 -  Kaufman et Raca Pawlowski en 1941 -

(archives de la Sarthe)

 

 

Résistant à Paris avec Missak Manouchian

 

Revenons à Henri, arrivé à Paris à l'automne 1942, et vivant d'abord sous la protection de son oncle Maurice Condat. Dans l'hiver 1942-1943, il peut se faire établir des papiers de Français aryen au nom de Henri, Jean, André Pierson, catholique, né à Metz le 7 juin 1923. On voit que cette identité n'est que partiellement fausse, puisque prénom, initiales et date de naissance sont conservés. Il loue à ce nom une petite chambre dans un hôtel bon marché situé à l'angle de la rue des Mûriers et de la rue des Partants, dans le 20ème arrondissement, tout près de l'appartement d'Esther et Maurice Condat. Sa tante Chawa et ses enfants sont installés à proximité également, au n° 13, rue des Mûriers. Parfois, Henri s'occupe des loisirs de ses jeunes cousins qui en ont gardé le souvenir. Mais, révolté par le sort fait aux siens (sa mère, sa belle-mère et sa petite sœur sont déjà déportées, son père est en fuite), il se met rapidement en contact avec la résistance juive, avec ces jeunes, échappés comme lui des rafles de 1942, qui formaient le deuxième détachement de l'organisation de lutte armée de la Main d'Œuvre immigrée[3] en région parisienne. Ces FTP-MOI parisiens, commandés d'abord par Boris Holban, puis par Missak Manouchian, comptaient quatre détachements, organisés pour l'essentiel par origine linguistique : premier détachement roumain, deuxième détachement juif (d'Europe centrale), troisième détachement italien, quatrième détachement mixte, spécialisé dans les sabotages de chemins de fer (détachement des dérailleurs). Au sein du détachement juif, Henri Pawlowski, qui porte alors la fausse identité d'Henri Pierson, prend en sus le nom de guerre de "Gaston". Au départ, il partage son temps entre l'action clandestine et une activité légale : "Il arrive à se faire embaucher dans un atelier de mécanique, situé aux environs de Reuilly-Diderot, dont le but était de former des jeunes Français comme mécaniciens et de les envoyer ensuite dans les usines en Allemagne. Chaque jour, après avoir quitté son travail, (il) mettait son temps à la disposition du deuxième détachement juif à Paris. Lorsque la direction de l'usine l'informa qu'il était désigné pour partir en Allemagne, il prit la décision de devenir partisan permanent et c'est sous sa direction que s'est déroulée, le 19 juillet 1943 à Vanves, la dernière opération du détachement juif à Paris." [4].
Il se trouve que cette action est décrite dans un ouvrage d'Arsène Tchakarian[5] : suite à des repérages, l'organisation FTP-MOI avait identifié un objectif militaire apparemment vulnérable : le détachement de soldats allemands, qui chaque matin allait prendre son service dans l'enceinte du Parc des Expositions de la porte de Versailles, alors utilisé comme important dépôt de matériel militaire. Les soldats arrivaient en formation de leur cantonnement de proche banlieue Sud en traversant des quartiers tortueux de Vanves pour déboucher à Issy-les-Moulineaux, au niveau de la porte Sud du dépôt. C'est près de l'entrée du lycée Michelet, dans la rue du 4 Septembre à Vanves, qu'ils allaient être attendus. Manouchian avait confié au détachement juif la responsabilité de l'attaque ; quatre nouveaux combattants allaient à cette occasion recevoir leur baptême du feu. Le 19 juillet 1943, à 7h40 du matin, c'est "Gaston", matricule 10152, qui commandait l'action et devait donner le signal au lanceur de grenade. Tout se passa comme prévu, l'engin explosa au milieu de l'arrière garde de la colonne ; dans la confusion qui suivit, "Gaston" et son camarade rejoignirent sans encombre les deux hommes chargés de la protection et de la garde des vélos préparés pour la fuite.

Ce fut la dernière action du détachement juif ; on sait en effet aujourd'hui, en particulier grâce aux mémoires de Boris Holban[6], que, par des arrestations massives en mars-avril 1943, la police avait porté des coups terribles à ce second détachement des FTP-MOI parisiens. La sécurité des combattants restants, comme celle des nouveaux engagés, commandait de les affecter ailleurs, dans d'autres détachements ou en province. Le rapport mensuel interne des FTP-MOI confirme cette dissolution : " pour des raisons connues, de commun accord avec le CMIR (Comité militaire interrégional des FTPF) et la direction de la MOI, le Deuxième détachement a suspendu son travail en tant que détachement. Son effectif, dont le nombre était déjà assez restreint, a été versé comme renfort dans le détachement des dérailleurs et pour le travail en province." (document des Archives Holban[7]).
La décision de dissolution fut prise en août. Henri Pawlowski passa d'abord quelque temps au détachement 4, ou détachement des dérailleurs. Il y côtoya plusieurs de ceux qui allaient être fusillés avec Manouchian, le 21 février 1944, en particulier le chef du détachement, Joseph Boczor, Juif originaire de Transylvanie (Roumanie) et son adjoint Thomas Elek, Juif hongrois.

Participa-t-il alors directement à des déraillements ferroviaires dans le bassin parisien ? Tout porte à le croire, mais, en septembre 1943, la direction centrale de la MOI décide de mettre "Gaston" à disposition de sa section polonaise ; celle-ci agissait principalement dans les colonies polonaises des bassins miniers de France et se trouvait, à cette période, à la recherche d'un cadre militaire du mouvement à envoyer à Montceau-les-Mines.

 

 


Voir la suite :

Partie 1 - L'arrivée d'un chef militaire FTP-MOI en septembre 1943 - cliquer ici.

Partie 2 - La chute du groupe de combat -  cliquer ici.

Partie 3 – La mémoire étouffée de ce drame - cliquer ici.



 

[1]  Mais, en 2005, Aristide Gasnier sera reconnu comme "Juste parmi les nations" pour avoir sauvé d'autres familles juives réfugiées à Vibraye.

[2]  Voir le livre de Karine Macarez,  Shoah en Sarthe, éd. Cheminements, 2006.

[3]  Main d'œuvre Immigrée, ou MOI ; c'est le nom de l'organisation mise en place par le PCF dans les années 20 à destination des travailleurs immigrés. Ils y sont rassemblés par groupes de langue… Après l'entrée du PCF dans la résistance armée, la MOI aura sa propre branche de combat, les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans MOI), dont la structure restera distincte des FTPF. (français), en principe jusqu'au début de 1944.

[4]  Abraham Lissner , Un Franc-Tireur juif raconte, chez l'auteur, 1977.

[5]  Arsène Tchakarian , les Francs-tireurs de l'Affiche rouge, Messidor, Editions sociales, Paris, Janvier 1986.

[6]  Boris Holban, Testament, Calmann-Lévy, 1989.

[7]  En page 315 du livre de Stéphane Courtois, Denis Peschanski, Adam Rayski, le Sang de l'Etranger, les immigrés de la MOI dans la Résistance, Fayard, 1989.

 

 _______________

 

Sources : Cette biographie a  pour sources principales le témoignage de Marcel Jozefowicz, cousin de Henri Pawlowski, le Mémorial de la Shoah, le Martyrologe des Juifs de la Moselle (ouvrage collectif édité en 1999 par le Consistoire israélite de la Moselle), les services de l'état-civil de Metz et Hayange.

La partie sarthoise - en particulier certaines photos d'identité - doit beaucoup au travail de Yves Moreau, mis en ligne sur son site internet remarquable : les déportés juifs de la Sarthe.

 



14/01/2013
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