Résistance polonaise en Saône-et-Loire

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2 avril 1943 - accident au puits de la Centrale

 

 

Neuvième-Centrale-Alouettes - légende.jpg

 

Comme le puits Plichon plus au Sud, les puits de la Centrale et des Alouettes se trouvaient à proximité du centre ville, au delà du canal du Centre, en bordure immédiate des cités des Alouettes et de la Sablière...

 

 

Lettre du commissaire de police de Montceau au Sous-Préfet de Chalon-sur-Saône, en date du 3 avril 1943

 

" J'ai l'honneur de vous rendre compte :

Le 2 avril 1943 à 16h15, un grave accident s'est produit au puits de la Centrale de la Société des Mines de Blanzy, à l'étage 40.

Cet étage est constitué par une galerie située à 40 mètres de la surface servant de retour d'air (*). Ce chantier depuis très longtemps abandonné a été remis en exploitation. L'extraction du charbon est difficile car il s'y trouve des feux qui communiquent avec la surface, ce qui en active le tirage.

Dimanche 28 mars, un éboulement peu conséquent s'est déjà produit, au cours duquel deux ouvriers ont été légèrement blessés. L'embouage d'une partie de la galerie du fait des feux s'est révélée nécessaire et a été effectué ainsi qu'une dérivation de la galerie.

Hier, vers 16h15, une explosion s'est produite dans la partie dérivée à peu près à hauteur de l'embouage provoquant un éboulement et un coup de feu dans la direction où des équipes d'ouvriers effectuaient divers travaux. Cette explosion a eu vraisemblablement pour origine l'inflammation des gaz dégagés à la suite des arrosages effectués sur les divers foyers.

Les secours ont été organisés immédiatement par le personnel des Mines de Blanzy.

Deux cadavres ont été remontés au jour ainsi que plusieurs blessés qui ont été transportés aussitôt à l'hôpital.

Malgré tous leurs efforts, les sauveteurs n'ont pu arriver à dégager les corps de 4 ouvriers ensevelis, et par mesure de sécurité un embouage de l'éboulement et de la partie en feu a été fait à 19 heures.

 

A cette heure, la liste des victimes s'établit comme suit :

DAUBARD Daniel, géomètre, âgé de 20 ans, célibataire, demeurant à Montceau-les-Mines, 5 rue St-Vincent, Bel-Air ;

BLANC Robert, aide-géomètre, âgé de 14 ans, célibataire, vivant avec sa mère et 2 sœurs de 18 et 10 ans, domicilié à Montceau, 11 rue de la Coudraie ;

GOUDIER Guillaume, mineur, âgé de 37 ans, marié, une fille de 11 ans, demeurant à Montceau, la Ferrière, rue de Soissons ;

BONNET Alexis, mineur, âgé de 31 ans, une fille de 5 ans, demeurant à Montceau, rue de Semard, n°29 ;

 

Les corps de ces 4 ouvriers n'ont pu être dégagés de la partie en feu et sont restés dans l'embouage qu'il a fallu faire par mesure de sécurité.

 

 

GAMET Roger, âgé de 15 ans, célibataire, vit avec sa mère, veuve, demeurant 89 rue de la Coudraie à Montceau ;

SKARCZYNSKI Félix, âgé de 45 ans, marié, 4 enfants âgés de 18, 14, 10 et 5 ans, demeurant J/2 rue de la Sablière à Montceau ;

BUSSEUIL Jean-Paul, célibataire, 19 ans, vit avec ses parents rue du Château à Montceau ;

GABON Jacques, âgé de 44 ans, divorcé, 2 enfants âgés de 20 et 18 ans, demeurant 37 rue J.J. Rousseau à Montceau ;

Les deux premiers tués sur le coup, les deux autres à l'hôpital des suites de leurs brûlures. "

 

Dans les jours suivants, parmi la quinzaine de mineurs hospitalisés, deux autres, gravement brûlés, allaient décéder :

HOSSA Casimir, âgé de 23 ans, célibataire, habitant avec ses parents, rue de la Chapelle à Montceau.

LEGER Etienne, chef de poste, âgé de 43 ans, marié, 4 enfants (3 garçons de 22, 20 et 11 ans – une fille de 18 ans), demeurant route de Blanzy à Montceau.

 

Le commissaire terminait sa lettre au Sous-Préfet d'une manière rassurante, soulignant qu'il n'y avait pas de terrorisme dans cette affaire et qu'il n'y aurait pas de cérémonie centrale susceptible de se transformer en émeute :

 

"… Les familles ont réclamé les corps des victimes et les obsèques auront lieu individuellement.

Monsieur le Sous-Préfet de Châlon-sur-Saône s'est rendu ce jour sur les lieux et a rendu visite aux blessés en traitement à l'hôpital des Mines de Blanzy.
Il s'agit là d'un accident purement professionnel, toute idée de malveillance doit être écartée.
En ce qui concerne les quatre ouvriers ensevelis, un constat officiel de disparition a été dressé par M. le Maire et moi-même en vertu de l'article 19 du décret du 3 janvier 1813 contenant les dispositions de Police relatives à l'exploitation des Mines, titre 3, pour être annexé à l'acte d'état-civil qui sera dressé ultérieurement.

 

Signé : le Commissaire Principal de Police "

 

 

 

accident Centrale égaré in 3072W1 - Copie.JPG

- Localisation des corps restés enfouis -

 

Les dépouilles de ces quatre mineurs restés ensevelis dans la galerie en feu qu'on avait dû inonder ne seront retrouvées et remontées au jour que les 26 et 27 août suivants. Il n'en restait presque plus rien…

 

Rapport d'identification d'un de ces corps par le commissaire de police Marcel DIVES, le 25 août 1943.

 

     "Avisé ce jour à 18h15 par la Société anonyme des Mines de Houille de Blanzy que le cadavre d'un ouvrier mineur (...) venait d'être mis à jour en procédant à la remise en état du chantier dans lequel une explosion s'était produite.

     Nous transportons immédiatement, assisté de notre secrétaire BOISSE, au puits de la Centrale et descendons dans le quartier sinistré.

     Nous y trouvons :

     MM. SOULIER, Ingénieur Divisionnaire, GUYON Ingénieur, le docteur BARRAL de la Société des Mines de Blanzy et les chefs de poste BATHIARD et MONNOT qui dirigent les fouilles.

     Il n'est pas possible de procéder sur place à l'identification du cadavre qui vient d'être mis à jour. Il est placé dans une caisse et transporté à la morgue de l'Hôpital des Mines de Blanzy.

      Signé : le Commissaire Principal de Police "

   

     "Et ce jour, vingt-six août 1943 à neuf heures,

     Nous transportons à la morgue de l'Hôpital des Mines de Blanzy assisté de notre secrétaire BOISSON, où est déposé le cadavre dde l'ouvrier retiré du puits de la Centrale.

     Procédons à l'identification de ce corps avec l'assistance de M. le Docteur CADILHAC de la Société des Mines de Blanzy.

     Il ne subsiste pour ainsi dire rien du cadavre, si ce n'est des débris osseux friables mêlés à des pierres et de la terre. Toutes les parties molles, peau, muscles, ligaments et viscères ont complétement disparu. Aucune identification n'est possible en ce qui concerne le corps lui-même.

     Par contre, les vêtements du cadavre sont assez bien conservés. Il est vêtu d'une veste et d'un pantalon de toile bleue, d'une flanelle ouverte sur le côté, coiffé d'une casquette à visière et chaussé de sabots tout en bois.

     Parmi les ossements de la tête, il est découvert une dent avec une couronne en métal doré.

      Des premiers renseignements recueillis auprès des ouvriers du chantier, il s'agirait du corps de l'ouvrier BONNET Alexis né le 11 février 1912 à Montceau-les-Mines, y domicilié 29 rue de Sémard, dont la dispartition fait l'objet d'un procès-verbal en date du 3 avril 1943.

     La lampe de cet ouvrier a été en outre retrouvée à proximité du corps.

     A la description de nos constatations dont nous lui donnons connaissance, madame Veuve BONNET née AMOUR Annette, âgée de 31 ans, domiciliée à Montceau-les-Mines 29 rue de Sémard, nous confirme qu'il s'agit bien là du corps de son mari. Aucun doute n'est possible sur le détail des vêtements, de la dent en couronne et sur les particularités relevées.

     Annexons au présent le certificat médical qui nous est remis par monsieur le Docteur CADILHAC et qui est ainsi conçu :

 

     Examen médical du cadavre de BONNET Alexis, âgé de 31 ans, victime de l'accident survenu au puits de la Centrale, le 2 avril 1943.

     Toutes les parties molles, peau, muscles, ligaments et viscères ont complètement disparu. On ne trouve plus que des débris osseux friables, mêlés à des pierres et à de la terre, retenus en partie dans des restes de vêtements. Le crâne, la cage thoracique, le bassin, sont réduits à de menus fragments osseux de quelques centimètres carrés ; les os longs sont eux-mêmes brisés pour la plupart ; on retrouve quelques mèches de cheveux bruns et 4 dents dont une porte une couronne en métal doré. C'est là le seul élément d'identification que l'on puisse retenir sur ce cadavre."

 

       Signé : CADILHAC et le Commissaire Principal de Police "

 

 

D'autres détails macabres de ce type allaient être connus parmi la population et jeter durablement un sentiment d'effroi sur cette catastrophe du puits de la Centrale, c'est du moins le souvenir qui me reste des récits entendus une dizaine d'années plus tard lorsque j'étais enfant. Les enterrements opérés presqu'en sauvette, la présence des Allemands, l'absence d'un grand deuil collectif partagé, comme celui de février 1939 après la catastrophe de Darcy, ajoutaient au sentiment de profonde tristesse que continuait d'évoquer ce drame.

 

Cet écrasement de la population parut surprenant au commissaire de police de Montceau lui-même ; son rapport mensuel pour avril 1943 est emprunt d'une étonnante philosophie... 

 

 

Commissariat de Police

de la circonscription de Montceau                                                   

Rapport mensuel d'avril 1943

 

I - ESPRIT – VIE DE L'ARRONDISSEMENT AU COURS DU MOIS ECOULE

 

                Un nouveau décès enregistré cette semaine a porté à dix le nombre des victimes d'une catastrophe minière survenue le 2 avril et dont s'est rendu compte sur place Monsieur l'Intendant aux affaires économiques, délégué par Monsieur le Préfet Régional et qu'accompagnait Monsieur le Sous-Préfet d'Autun – visite qui a suivi cette faite par M. le Sous-Préfet de Chalon-sur-Saône.

                Pour son caractère tragique d'abord, il convenait de mentionner en tête de ce nouveau rapport le douloureux destin imposé à la population du bassin minier, mais surtout pour l'enseignement qui en découle et l'éclaircissement jeté sur la mentalité de cette même population, par la manière dont elle accepta l'épreuve. Il n'a pas semblé qu'elle en mesurât l'horreur avec une perspicacité juste, ni surtout avec la même sensibilité dont elle aurait témoigné autrefois.

                L'évènement ne suscite pas le sursaut de révolte devant l'adversité (**), vain peut-être mais coutumier dans les foules, et ceci est le reflet de notre époque troublée et désaxée sur les esprits et les cœurs, dont les jugements s'égarent ou les sentiments s'émoussent. Chacun se retranche derrière ses préoccupations pour ne pas dire son égoïsme.

                Certes, une lassitude compréhensible s'appesantit chaque jour davantage sur la masse, qui ne voit pas ses espoirs se réaliser à la cadence qu'elle escomptait. Elle suit avec intérêt les opérations de Tunisie, attendant tout de leur issue, même une fin inopinée de la guerre, se prêtant peut-être d'avance à de nouvelles désillusions.

                Lassitude également, et malaise, devant les bombardements répétés de la R.A.F. qui ne recueillent plus, semble-t-il, l'unanimité des suffrages. Alliance complexe d'une réelle compassion pour les victimes innocentes et de la crainte d'être soi-même visé un jour.

                La question du ravitaillement ne prête, pour le mois écoulé, à aucune remarque particulière. Le retard dans la distribution du vin se comble petit à petit et l'attribution des pâtes, conserves et légumes, etc… est favorablement accueillie.

 

                Départs d'ouvriers pour l'Allemagne –

Seuls sont à mentionner au cours du mois quelques départs à Chalon-sur-Saône, pour le compte de l'organisation TODT.

 

                Activité de l'Industrie -

Travail normal, tant à la mine que dans les bonneteries.

 

 

 

 

(*) Cette galerie à faible profondeur était en liaison avec la surface par un plan incliné…

(**)  Il y eut cependant quelques arrêts symboliques de travail les jours suivants.

 

Sources : ADSL 3072W1 et 1W1259

 

 

puits de la Centrale 3.jpg



09/02/2014
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