2 - Les mines de Blanzy vers 1940, le cheval et l'homme au fond
30 mai 2016 - Récits Kajetanek 2
STRUCTURE GENERALE DES HOUILLERES DU BASSIN DE BLANZY (H.B.B), ANNEES 40
La société anonyme de cette époque comportait huit sièges principaux, ce qui implique donc huit puits d'extraction et autant de puits de retour d’air, sur le territoire montcellien et ses à côté, comme les communes de Blanzy au nord et Perrecy au sud. En cette même période elle employait, au plus fort de son effectif, jusqu’à 13000 salariés, dans toutes les composantes : cadres, employés, techniciens et personnel du jour, techniciens et personnel du fond, ainsi que des gardes qui assuraient les services de sécurité. Une particularité importante pour un non initié apparaissait dès les premières rencontres. Parmi le personnel du fond, plus de la moitié était d’origine étrangère, et parmi ces derniers, les trois quarts étaient d'origine polonaise ou slave. Mon matricule d'embauche, au premier octobre 1940, qui se trouvait être 50663, signifiait que j’étais la cinquante mille six cent soixante troisième personne embauchée par cette compagnie depuis son origine.
Chaque puits d’extraction, dénommé siège, avait à sa tête un ingénieur, confirmé par ses états de service précédents, lequel était nommé divisionnaire. Il chapeautait autant d'ingénieurs subalternes qu’il y avait au fond de quartiers d'exploitation du charbon. Chaque ingénieur supervisait donc un quartier et collaborait avec le Maître mineur, le plus haut grade parmi la maîtrise du quartier. A eux deux, ils avaient la responsabilité entière de ce qui s’y passait, le premier plus impliqué dans le moyen et le long terme ainsi que dans la sécurité générale, le second responsable direct des travaux et de la sécurité de ses ouvriers, qu`il partageait avec son équipe d’agents de maîtrise et de surveillants, lesquels encadraient le personnel aux trois postes de travail.
En ce début de décennie des années 40, la semaine de quarante heures qui avait été obtenue à la suite des mouvements de grève de 1936, fut mise aux oubliettes et c'était la semaine de quarante-huit heures qui prévalait depuis le début des hostilités, c’est à dire six fois huit heures. Les trois fois huit heures journaliers du fond étaient en réalité trois fois sept heures quarante-cinq effectifs ; le quart d`heure manquant compensait le temps passé à s’habiller ou se déshabiller en tenue de fond puis à s'équiper d'une lampe à la lampisterie et trouver sa place en cage. Pendant ce même quart d’heure, les chefs de poste comme les ouvriers remontants pouvaient passer des consignes aux descendants pendant leurs croisements, ce qui facilitait ainsi la tâche des derniers.
Sur les dix couches connues et répertoriées dans nos sous-sols, six seulement étaient partiellement exploitables, mais pas à toutes les profondeurs. Ces gisements formés en surface terrestre dans des vallées, descendus ensuite en terre à la suite de séismes majeurs, disloqués ultérieurement par des failles verticales, suite à des mouvements de terrain, se trouvaient être bien connus en notre époque à la suite de sondages, de recherches mais aussi par effleurement avec la surface terrestre, tout au nord comme tout au sud dudit gisement. Par contre en son centre, le gisement était descendu jusqu'à plus de mille mètres de profondeur. Parmi les couches, deux sont avantageuses car assez épaisses : la quatrième et la deuxième. Leur épaisseur, en fonction de leur emplacement, varie entre quelques mètres et une trentaine de mètres en certains endroits, ceci sur de grandes étendues, cependant discontinues et à différents niveaux. En général, elles affleurent la surface terrestre au nord du gisement, entre Montchanin et Blanzy, pour s'enfoncer jusqu’à mille mètres sous notre ville (Montceau), et réapparaître tout au sud, vers Perrecy. Quant à notre canal du Centre, son tracé à la verticale limite du côté est le gisement exploitable.
LE TRAVERS-BANC DE PLICHON
Pour mieux comprendre le fond, je me dois de vous décrire le travers-banc du puits Plichon : en premier il faut savoir qu'à la sortie de cage au fond, des deux côtés, deux voies qui se démultiplient en trois puis quatre et même cinq voies et permettent de stocker en grande quantité charbons, chariots, matériel divers, en attendant qu’ils soient utilisés et convoyés autre part. Cette gare du bas de puits est circulaire, formant un rond, et les deux extrémités se rejoignent en un point pour partir en une direction et se dédoubler à la demande, afin que chaque voie mène à un quartier donné et le ravitaille ou évacue ses charbons (*). Ces voies de travers-banc sont rectilignes et d'un gabarit adéquat pour leur utilité. Elles sont tracées dans une roche plus ou moins dure, souvent graniteuse et parfois schisteuse, mais assez stable, garantissant une bonne longévité avec un entretien minimum, cela grâce aux sondages et aux prévisions de bon aloi. La traction des convois de quarante-cinq unités se pratiquait avec des locomotives électriques qui s’alimentaient par l’intermédiaire d’une perche frottant sur un fil de cuivre solidement fixé et isolé. Il faut dire que dans ce travers-banc parcouru par un fort et frais courant d'air il n'y avait pas de risque d'y trouver du grisou en quantité explosive. Dernière remarque , il était éclairé par des ampoules, échelonnées tous les cinquante mètres et raccordées à une ligne électrique.
(*) C'est à l'extrémité d'une telle voie rectiligne de travers-banc que se trouve la gare de tête du plan incliné "Baudin", lequel dessert le quartier de la première couche nord, où K. Kajetanek va travailler (voir page 3).
LE CHEVAL AU FOND
Je me dois de décrire la vie et le calvaire d’un cheval au fond de la mine. C’est l’être le plus misérable que j'ai côtoyé au fond à cette époque-là, et je le plains de toute mon âme. Il était de race béarnaise, comme tous ses congénères, de petite taille mais râblé et surtout très obéissant et non récalcitrant. On l’a descendu à la vitesse du personnel, sanglé et attaché de toutes parts en dessous de la cage afin qu'il n'en déborde pas. Récupéré au fond par des palefreniers sous la surveillance d’un vétérinaire, cet animal ne reverra plus le jour, sinon après son trépas, le plus souvent à la suite d`un accident grave engendrant pour le moins une fracture, parfois après une maladie et pratiquement jamais de vieillesse, découpé en quartiers de viande et chargé dans un chariot. Une seule fois cette règle fut transgressée, ceci, lors de la débâcle de juin 1940. Les mineurs désertèrent le fond, aussi remonta-t-on tous les chevaux au jour pour les disséminer dans les pâturages dont la houillère était propriétaire. Ainsi ceux-ci purent profiter de quelques journées de congé forcé et brouter de l’herbe fraîche tout en servant de monture à quelques jeunes intrépides du proche voisinage.
Jusqu’au milieu des années 1950, ils servirent au fond à rouler des berlines et autres matériaux et y vécurent des calvaires inimaginables, pour être totalement abandonnés lorsque la mécanisation à outrance du fond mit en évidence leur inutilité.
Leurs repos comme leurs soins étaient pris en commun dans une vaste écurie aménagée aux abords de la recette du fond. Une bonne quarantaine d'animaux y avaient refuge, affectés aux différents quartiers, sous la responsabilité d'un charretier attitré. Des palefreniers en avaient la garde et l’obligation de donner les soins nécessaires à leur bon état physique. Relativement bien soignés jusqu'en 1940, les restrictions dues à la guerre amèneront des manques quant à leur portion d'avoine. Les chevaux postaient comme les hommes, sous la tutelle de leurs charretiers, après que ces derniers les aient récupérés puis harnachés dans les écuries et menés ensuite sur leur lieu de travail.
Pendant les sept heures qui suivront l’animal n'obtiendra ni alimentation ni boisson et dépendra entièrement du bon vouloir de son meneur. Quant à ce dernier, il doit avec son canasson achalander en chariots et autres matériels les mineurs et la gare en amont ainsi qu'évacuer les charbons chargés pour les mener sur la gare en aval. Cela semble très simple à dire mais dans la réalité, très compliqué à exécuter, quand le mauvais sort s’en mêle : déraillements intempestifs, voies encombrées par des déchets, arrêts du convoi par un mineur qui veut un matériel convoyé, réparations en urgence de la voie, engueulades par le responsable du secteur qui trouve que le ravitaillement laisse à désirer. Tous ces avatars retombent sur le charretier, lequel s’en prend obligatoirement au cheval, le seul être qu’il a sous ses ordres. C’est ainsi que ce dernier, en bout de chaîne, devient le responsable de toutes les anomalies advenues.
Pour pallier à ces avatars, le charretier tente d'ajouter un ou deux chariots supplémentaires à son convoi, et le cheval qui tirait déjà un maximum, il ne peut répondre ; aussi est-il alors maltraité et parfois battu, tout dépend de la mentalité présente du charretier. Celle-ci, parfois compatissante mais le plus souvent avilissante et inhumaine, l’entraine à des réparties difficilement admissibles et compréhensibles. Tous les acteurs à leurs postes respectifs ont des tâches surhumaines à effectuer et des exigences finales à assumer, aussi cherchent-ils un responsable à leurs ennuis momentanés et c'est toujours en bout de chaîne qu'on le trouve, comme dans notre exemple : le cheval. Quant à ce dernier, deux possibilités lui sont offertes, soit il travaille plus dur encore et peinant de plus en plus, il accomplit ses tâches, soit il rechigne aux injonctions, alors commence pour lui une suite de sévices inimaginables en d'autres lieux. Dans le premier cas le cheval sera vanté et souvent mis à contribution ; dans le second cas, en fin de compte il sera utilisé sur des parcours où les efforts demandés seront moindres et surtout, inemployé les dimanches.
A la longue, ce poney s'adapte au manque de clarté. Il pourra suivre une voie très faiblement éclairée sans être précédé. Il s'adaptera aux bosses des terrains en prenant de l’élan avant une rampe. Il saura marcher et tirer dans un tronçon de galerie affaissé où les interstices des traverses ont été creusés pour le faire passer. En entrée en gare, il saura prendre le bon côté de la voie, pour laisser passer le convoi sur l'autre côté et venir tamponner les chariots précédents. Mieux, il apprendra à évaluer le nombre de berlines accrochées à son convoi et s'arrêtera de tirer si ce dernier est en surnombre. Toutes ces choses incroyables je les ai vécues ou entendu conter par des gens de bonne foi. Je me souviens même d'un cheval nommé « Hope », utilisé en bout de quartier, pour sa lenteur et sa nonchalance, qui, d’après les palefreniers, était censé avoir quinze années de travail au fond. Il y terminera sa vie quelques mois plus tard après s’être cassé une jambe au cours d'un poste de travail.
L’HOMME AU FOND
Pour admettre, et non pas comprendre, ces horreurs, il faut se replacer dans le cadre minier : hors de vue de la société qui régit les lois, et bien connaître la mentalité des gens du fond qui travaillent dans des conditions difficiles, au contact d'une chaleur accablante, dans un air vicié et poussiéreux, avec très peu de visibilité et des risques énormes, pour la plupart payés à la tâche, donc soumis à un rendement poussé, très ardu à atteindre. Toutes ces contraintes font que ces personnes deviennent inhumaines ; chacun des acteurs ne pense qu’à soi et oublie la solidarité. Seule une catastrophe collective leur remet les idées en place, et alors là ils redeviennent des gens inégalables d’abnégation. Pour bien comprendre les mineurs, il faut vivre et travailler à leurs côtés, partager leurs peines et insuffisances et surtout savoir qu’ils sont totalement différents hors de leur cadre souterrain, débarrassés de leurs oripeaux et décrassés sous la douche.
Un autre aspect de ce métier peut nous aider à la compréhension de leur mentalité. Les règlements intérieurs sont établis de façon à prévenir l’impondérable ou tout au moins les accidents corporels et autres. Dans la réalité, l'appât du gain, l’obligation de laisser une part d’initiative personnelle aux responsables de chantiers disséminés dans un large espace souterrain, la maîtrise pas assez nombreuse pour tout surveiller, cela aboutissait aux faits qu’à tous les niveaux, les gens se permettaient de prendre des risques plus ou moins gros, cela pour parvenir à un bon rendement afin d'obtenir un meilleur salaire. Cette optique satisfaisait tout le monde : direction, maîtrise, ouvriers, à condition d’ignorer ou de ne pas vouloir savoir, au prix de quelles conditions l’amélioration de rendement avait été obtenue.
D'autre part il ne faut pas oublier qu’au fond les terrains ne sont pas stables et que de fortes pressions s'exercent sur eux, ceci dans tous les sens. Cela est surtout ressenti au niveau de la couche de charbon, laquelle n’a pas la même dureté sur tout le parcours de la galerie. Les voies de roulage étaient un assemblage de barres de fer de 6 mètres, encastrées et coincées dans des traverses appropriées, lesquelles sous les poussées verticales montantes se désolidarisaient entre elles, provoquant des déraillements de chariots, qu'ils fallait remettre sur les voies, puis, reniveler les terrains et remettre en état l'ensemble. Il en était de même pour le boisage des galeries, lesquelles, en plus des charges verticales, subissaient celles venant latéralement et provoquant des cassures des bois. Ces imperfections courantes, pouvant aboutir à un éboulement partiel, devaient être réaménagées sans trop tarder, aussi des équipes de boiseurs étaient affectées à ces réparations, en permanence.
Toutes ces contraintes, ces avatars, ces incidents, rendent plus aléatoires un ravitaillement sans faille et compliquent la tâche de tous les acteurs du fond. Mais comme de tout temps, une volonté ferme, une bonne adresse, un jugement parfait valent bien des muscles et évitent bien des peines.
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