décembre 2016 : hommage à Roger Pindon
Texte de son petit-fils, Jérémy Beurier (*)
Ce jour de l’avant-veille de Noël, le Papi Roger (je ne peux l’appeler autrement) nous a quittés. Il fut témoin et acteur de tout un pan de notre histoire, celle du Bassin Minier de Montceau durant la dernière guerre.
Né en 1927, fils d’un gueule noire du Champ du Moulin, il se fait embaucher au puits des Alouettes le lendemain de son 14ème anniversaire. Six mois auparavant, la France a perdu la guerre, il découvre alors la mine dans une ambiance de semi-travail, où beaucoup de mineurs œuvrent au ralenti car le charbon part pour l’Allemagne.
En septembre 1943, il rejoint ses copains de quartier dans un mouvement de Résistance appelé le FUJP : Forces Unies de la Jeunesse Patriotique. Par groupes de trois, ces jeunes participent à divers actions antiallemandes et anti-collaboration. Ainsi, le Papi Roger et ses camarades décorent les rues montcelliennnes de centaines de drapeaux tricolores à la barbe des Allemands, ils distribuent des tracts… Fin septembre, il apprend que deux de ses copains partent au maquis. Alors il fait le choix de les accompagner. Ils se rendent à la Charmée près de Buxy où on les charge de construire une cabane qui doit accueillir une dizaine de camarades. Avec eux, ils participent à l’organisation d’une réquisition de cartes d’alimentation à Buxy afin de ravitailler les maquisards. Toutefois, après deux semaines de vie dans les bois, et le départ d’un de ses deux copains, le Papi Roger décide de revenir à Montceau ; ce maquis était trop politisé à son goût.
La nuit du 21 au 22 février 1944, la police de sûreté de Dijon, commandée par le sinistre Inspecteur Marsac, entreprend une rafle dans le Bassin Minier visant à arrêter les « communo-terroristes ». Cette nuit-là, 16 jeunes gens sont appréhendés. Le Papi Roger est sur la liste.
Il est alors emprisonné à Chalon sur Saône jusqu’au 13 mai où les détenus sont transférés à la Prison de la Butte à Besançon. Là bas, il entend le peloton d’exécution de son camarade Lucien Vannier venu avec lui au maquis de la Charmée.
Le 23 juin, alors que depuis 17 jours les Alliés ont mis le pied en France, un train est affrété et le Papi Roger et 255 autres Français sont parqués dans les wagons « 40 hommes/8 chevaux » pour une destination inconnue. Un des vieux gardes Allemands les prévient : « Là-bas, attention, travaillez et ne vous faites pas remarquer… ». Le transport dure trois jours.
Le 26, le train s’arrête dans une gare allemande, les prisonniers doivent encore marcher quelques kilomètres avant leur destination finale : ils franchissent un portail surmonté de la devise « Arbeit Macht Frei », le travail rend libre… Ils viennent d’entrer dans le camp de concentration de Dachau.
Rasés, désinfectés et habillés de la tenue rayée, les détenus découvrent l’univers concentrationnaire. Le Papi Roger n’a plus de nom ni de prénom. Il devra répondre au numéro 74988. Après une mise en quarantaine d’un mois où il fréquente le commentateur sportif Georges Briquet, les déportés français sont transférés au camp de concentration de Flössenburg (les déportés polonais restent à Dachau). Le Papi Roger devient alors le matricule 13317.
Une nouvelle fois mis en quarantaine il est séparé de ses copains majeurs qui sont envoyés au travail dans le fameux kommando de Hersbrück, tristement célèbres pour ses records statistiques de nombre de morts (le poète Robert Desnos y mourut). Les plus jeunes - il a alors 17 ans- sont employés à la construction des avions Messershmitt. Il y découvre les12 heures de travail quotidien, la nourriture insuffisante, les coups. Dans le camp, c’est la promiscuité, la saleté, les puces, la violence des Kapos et des SS, les appels interminables sous la neige matin et soir et les copains de Montceau qui meurent les uns après les autres et dont les corps disparaissent en fumée.
Le 27 janvier 1945, il est séparé des autres Montcelliens vivants et transféré dans un nouveau kommando dépendant du camp de concentration de Gross-Rosen à Kamenz en Tchécoslovaquie annexée par le Reich. Durant le transfert en train, il passe son 18ème anniversaire…
Il travaille toujours sur les tableaux de bord d’avions. La ration quotidienne a diminué et le Papi Roger sent son corps s’affaiblir. Le 13 mars, l’armée Russe approche du camp et l’ordre est donné d’évacuer. Un train doit les convoyer au camp de Mauthausen. Sur place le train est refoulé, le camp est plein. Et le pénible voyage reprend plus à l’Ouest en direction de Dachau. Le Papi pense y retrouver ses copains.
Arrivé sur place, il change de matricule et devient le numéro 145598, il découvre que le nombre de déportés a doublé depuis son départ l’été dernier. Quand il retrouve un de ses copains, ce dernier ne le reconnaît pas tant il a maigri. Le Papi Roger apprend alors que presque tous ses camarades de Montceau sont morts. Ceux qui restent partagent avec lui leur ration pour tenter de le remettre sur pied. Deux jours plus tard, on lui diagnostique le typhus, par chance le médecin le prend dans le block-hôpital alors que d’autres sont exécutés. Dans la chambrée voisine à la sienne, un air d’accordéon égaye l’atmosphère, c’est André Verchuren, lui aussi déporté, qui joue pour ses camarades détenus. Une fois guéri, il réintègre le camp où de plus en plus de déportés sont parqués. Le four crématoire est en panne et les corps s’amoncellent à proximité. Des trains amènent encore de nouveaux détenus transférés d’autres camps. La vue du fameux train de la mort où 75% des prisonniers moururent de faim et de soif restera gravée dans sa mémoire.
Le 29 avril, une folle rumeur parcours sa chambrée : les Américains auraient franchi le portail du camp. Dachau et ses détenus sont libérés.
Après encore quelques semaines de quarantaine et de remise sur pieds par les médecins américains, il est enfin rapatrié à Montceau où il retrouve les siens. C’est la joie dans la famille.
Mais reste un grand vide. Ils sont très peu du quartier à être revenus. Tous les copains sont morts là-bas : Les frères Aupècle, Georges Vieillard, Lucien Vannier et tant d’autres… Et les questions qui commencent à le hanter : Pourquoi lui est-il toujours là ? Sur les 256 personnes partis de Besançon en juin 44, seuls 99 ne sont pas morts…
Après deux mois de repos total souhaité par le médecin, il reprend le travail à la mine (aux Alouettes, à Darcy puis à Rozelay). Quelques mois plus tard il rencontre la Mamie Lucette (Lucette Michaud du Bois Roulot). Ils se marient en 1947. Comme un pied de nez à la mort qui n’a pas voulu du Papi Roger, ils font le choix d’une famille nombreuse : ce sont 13 enfants qui naissent de leur amour. Aujourd’hui, nous sommes 28 petits-enfants et 24 arrière-petits-enfants, et l’histoire n’est pas finie…
Le Papi Roger est toujours resté discret sur sa déportation. La plupart des gens qui le connaissaient l’ont découverte il y a deux ans quand il a accepté de recevoir la Légion d’Honneur, alors qu’il refusa tous les honneurs depuis 70 ans.
(*) Jérémy mène aussi des recherches sur la Résistance et anime le blog Le grenadier bourguignon.
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