Anna SKUPIEN et Antoni GRABOWSKI, soldats de l'Internationale
Après la figure de Stanislaw DZIUBEK, résistant polonais de l'Ain venu mourir mystérieusement dans la région montcellienne à la veille de
Je fus d'abord intrigué par un entrefilet paru dans l'édition du 16 octobre 1944 de l'Etincelle, l'organe du parti communiste de Saône-et-Loire. Sous le titre Une camarade MOI disparaît, on y annonçait le décès par accident de voiture (chute dans le canal) de Mme Jourdan, déléguée par le comité central du Mouvement ouvrier international, officier des forces françaises de partisans, digne compagne de son mari fusillé par les Boches en Pologne, où il organisait la résistance…
L'étrangeté de la rédaction sautait aux yeux : un nom français, une confusion des sigles FFI et FTP, une évocation de
C'est dans une correspondance privée à Varsovie que je retrouvai l'évocation de cet accident et le lieu du drame : Blanzy. L'état-civil de la commune allait révéler les détails : L'accident était survenu à Ocle, le 19 septembre 1944 (13 jours après
1/ d'abord la passagère Anna SKUPIEN, couturière domiciliée à Paris, née à Sosnowiec en Pologne, le 13 mars 1914, veuve d'Antoine Grabowski ; on apprenait que sa mère vivait alors encore dans le département du Nord.
2/ Le chauffeur, Henri REBILLARD, né à Saint-Etienne-en-Bresse le 30 mars 1907, receveur des PTT à Crécy-sur-Somme (S&L). En marge du registre figurait en gras la mention Mort pour |
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(Ph. ANACR Bourbon-L) |
Quant à Anna Skupien, il n'y avait pas de mention "morte pour la France" ; c'est le contact établi avec sa fille qui me permit de retracer son histoire et celle de son mari, Antoni Grabowski…
La vie d'Anna Skupien et d'Antoni Grabowski
Anna Skupien est née le 13 mars 1914 à Sosnowiec, en Pologne, de Wincenty et de Olga Garnietowa, elle-même née à Saint-Pétersbourg en 1887. En septembre 1922, la famille émigre vers
Antoni Grabowski, lui, est né à Niwka, quartier de la commune de Sosnowiec, le 17 janvier 1909, dans une famille de mineurs ; à l'âge de 19 ans, il part pour
Après le mariage, le couple reste à Escaudain où Antoni va adhérer au PCF et y gagner des responsabilités. A la fin de l'année 1936, le parti l'appelle à Paris – il quitte donc son métier de mineur – afin de le préparer pour partir en Espagne, en tant que cadre des brigades internationales.
A Paris, le couple vit quelques mois au 33, rue de Lappe, avec la petite Olga qui leur est née en 1933. Anna trouve assez facilement du travail à domicile, pour le compte de grands couturiers. Mais en mars 1937, Antoni part pour l'Espagne où il devient commissaire politique au niveau de la compagnie, au sein de la brigade polonaise Dombrowski ; il a le grade de lieutenant.
Courant 1938, il est blessé aux jambes ; d'abord hospitalisé en Espagne, il est finalement rapatrié en France. Il reste à Paris, où il travaille au comité Espagne du PCF. Il s'y occupe bientôt de l'appui aux brigadistes détenus par les autorités françaises ; lui-même est arrêté en juillet 1939 et envoyé au camp d'internement de Gurs (Pyrénées Atlantiques).
- Antoni (à droite), convalescence en Espagne -
On ne connaît pas avec exactitude ce qui se passe dans la période suivante ; on sait seulement qu'il va s'évader du camp de Gurs avec l'appui de l'appareil communiste régional, puis regagner la région parisienne, où il restera jusqu'à 1942, avec sa femme et sa fille.
Courant 1942, ils repartent pour le Nord et sont hébergés chez les parents d'Anna, qui résident alors à Wandignies-Hamage.
Un épisode surprenant de l'histoire du communisme en Pologne
Pour le comprendre, il faut avoir à l'esprit qu'à la veille de la guerre, l'Internationale communiste avait démantelé le parti communiste polonais (KPP) car insuffisamment contrôlé par elle, en particulier en assassinant un grand nombre de ses cadres. C'est au lendemain de la rupture du pacte germano-soviétique marqué par l'attaque de l'URSS par l'Allemagne, le 22 juin 1941, que Staline permit la création d'un nouveau parti communiste polonais (le PPR, fondé le 5 janvier 1942) avec pour mission principale de participer à la résistance à l'occupation allemande et de représenter la carte soviétique sur l'échiquier politique polonais . Une organisation armée fut mise sur pied simultanément (GL = Gwardia Ludowa =
Antoni Grabowski fut l'un d'eux, ce qui témoigne du niveau qu'il avait atteint dans l'appareil.
Transféré en Pologne à la mi-1942, en traversant l'Allemagne en guerre avec des papiers de travailleur volontaire, il devient rapidement commandant GL de la région de Warszawa-Lewa Podmiejska, puis de celle de Radom – Kielce (décembre 1942), enfin d'une subdivision GL de Cracovie (février 1943). Fin avril 1943, il est appelé à Varsovie où il prend le commandement du groupe spécial de l’Etat major du GL. Il est arrêté vers le 10 juillet 1943 par
Anna, agent de liaison
En France, son épouse prend alors la relève de son combat (2) et devient agent de liaison pour le compte de la direction centrale de la section polonaise de
- La fausse carte d'identité d'Anna Skupien -
Elle utilise divers pseudonymes, Wanda, Sonia, Irena… et porte un jeu de papiers au nom d'Angèle Jourdan. C'est sous cette identité à l'occasion d'une de ces missions, alors que
- Le lieu de l'accident, la veille du corps -
Anna Grabowska connut des funérailles grandioses, le vendredi 22 septembre 1944 ; un détachement armé du bataillon Mickiewicz veilla le corps et escorta le corbillard, qui traversa la ville jusqu'au cimetière du Bois-Roulot (3) où furent prononcés des discours par des représentants de la municipalité de Montceau et du parti communiste.
- L'enterrement, rue de la République à Montceau (cliquer pour agrandir) -
Le temps passa, la plupart des responsables FTP-MOI repartirent en Pologne et l'histoire de
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1) Voir les biographies de Maslankiewicz et Jelen, autres cadres brigadistes en rapport avec la résistance polonaise en Saône-et-Loire.
(2) On fera un parallèle avec l'histoire d'une autre agent de liaison de
(3) La tombe d'Anna Skupien est encore visible au Bois-Roulot, passez à l'occasion y déposer une fleur…
- Aujourd'hui, cimetière du Bois-Roulot, carré M, tombe 119 -
(Sur la plaque : A notre mère, Anna Wanda Grabowska 1914-1944)
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Sources
Témoignage d'Olga D-Grabowska (grand merci à elle !)
Archives : AD S&L, SHD, AN Varsovie
Internet : pages Wikipedia (en polonais) sur Antoni Grabowski et Gwardia Ludowa
Ouvrages : - Collectif, 1940-1944 dans les cantons de Bourbon-Lancy, Chevagnes, Dompierre-sur-Bresse, Issy-L'Evêque, éd. ANACR 2011.
- Jan Skowron, Chlopcy z Nordu i Pas-de-Calais, Wydawnictwo Ministerstwa Obrony Narodowej, novembre 1981.
Photos Olga D-G et ANACR-Bourbon-Lancy
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