Soviétiques dans le Morvan - Nouveaux témoignages
17 décembre 2018
Adolescents, ils ont côtoyé les maquisards soviétiques
- Rencontres en septembre 2018, et auparavant... -
Famille VADROT à Villapourçon et MARTIN à Larochemillay (Nièvre)
Monsieur Vadrot m'avait déjà confié téléphoniquement son témoignage il y a quelques mois, à l'occasion de l'écriture du livre "Maquisards russes en Bourgogne", à savoir sa rencontre avec un Russe, grand amateur de cerises, qui occupait une maison abandonnée au voisinage du hameau du Niret, quelques kilomètres à l'est de St-Honoré-les-Bains. Outre le plaisir de boire un verre ensemble, notre discussion directe ne fit qu'apporter quelques précisions, et la confirmation que son secteur avait bien été le point d'arrivée des Russes dans la Nièvre, à leur départ de Saône-et-Loire.
Toute différente fut ma rencontre avec M. et Mme Martin, en compagnie du maire de Poil, Christian Courault, car les choses qu'ils allaient me raconter étaient nouvelles...
En fin de page, vous trouverez un court récit qui m'avait été rapporté en juillet 2009 par André Forest, le fils du boulanger de Poil, aujourd'hui décédé.
Les Martin habitent le moulin de Montvernot, demeure isolée au nord de la commune de Larochemillay (Nièvre) ; ils sont nés respectivement en 1928 et 1929 et ont toujours vécu dans ces hameaux, M. Martin dans ce même moulin, exploité autrefois par son père, Mme Martin l'y ayant rejoint à leur mariage après la guerre. Elle vivait auparavant dans la ferme exploitée par ses parents, M. et Mme Lauroy, au hameau de la Forge, à 3 kilomètres de là. Ils avaient été bouleversés par une photographie publiée par le Journal du Centre, le 16 juillet dernier. Cette photo illustrait l'article annonçant la cérémonie tenue au village voisin de Poil en l'honneur de l'officier soviétique surnommé "Viktor" qui reposait jusque-là sans tombe dans le cimetière communal. Ils reconnurent immédiatement le groupe de maquisards qui avait séjourné dans les exploitations de leurs parents au printemps 1944, et parmi eux "Viktor" lui-même !
Madame Martin reconnait formellement "Viktor", le petit blond (1), à côté de lui son copain le plus proche, qui porte une mitraillette russe (2) et le jeune garçon (3) dont la tristesse permanente avait frappé la famille.
La vie quotidienne
Mme Martin – Ils sont arrivés un jour de beau temps, peut-être était-ce le printemps 1944 ; ils étaient sept ou huit, peur-être dix, toujours ensemble. C'est au même moment qu'ils sont allés aussi au moulin de Montvernot, chez les Martin. Un seul parlait un peu français avec nous, c'était le petit blond, Victor, un peu aussi son copain, le grand brun. Il y avait aussi un Polonais de Montceau…
Le jeune garçon de la photo, il était effectivement avec eux, il était toujours triste… il nous faisait de la peine avec ma maman, mais je ne l'ai jamais entendu parler.
Victor, j'l'aimais bien, lui, il était bien gentil… il était vraiment sympa…
Ils se déplaçaient toujours à pieds, ils sont venus à de nombreuses reprises ; ils arrivaient dans la nuit, 11h00, minuit, 1h du matin, et ils frappaient alors en disant "C'est Victor".
Quand ils repartaient, c'était toujours la nuit ; j'ai la nette impression qu'ils ne marchaient que la nuit… Et ils étaient absents longtemps, des fois un mois, des fois 15 jours, de longues périodes quoi. Et puis ils revenaient…
Ils ont aussi habité quelques fois chez deux petits vieux, les Pacaud, au village de Montaudué (sur le versant, entre Montvernot et la Forge).
Ces maquisards, c'était plutôt des gens du peuple… parfois ils ont aidé mon père ; avec nous, ils ont toujours été bien corrects. Même des fois ils ont laissé de l'argent sur la table, même qu'on n'en voulait pas !
On n'a jamais rien entendu de mauvais sur eux
Ils ne se faisaient pas à manger eux-mêmes, c'est ma maman qui faisait pour eux ! Ils aimaient manger des poules, du lapin, des trucs comme ça… de l'omelette, et du jambon, ils aimaient beaucoup le jambon ! Mon père l'avait même caché, en disant "y'en a plus".… Mais ils aimaient surtout les poules ! Le petit blond venait vers ma mère et lui disait : "Poule, poule madame…" Oh ils en ont mangé des poules !
On n'en parlait pas à nos connaissances, on se taisait ; mais au moulin des Martin, il y avait toujours des gens qui venaient pour faire moudre leur grain. Une fois, ils en ont pris un… Ils couchaient dans la grange, mais la journée, ils étaient obligés de sortir des fois… Et cette fois, quelqu'un les a vus ; alors un est sorti avec son pistolet, et lui a dit "vous avez rien vu, si vous dites quelque chose, vous êtes foutu… Et surtout qu'il arrive rien à M. Martin"… Cela en Français, ce devait être Victor, à moins que ç'ait été le Polonais qui était avec eux.
Ils avaient des révolvers, des pistolets… mais aussi des mitraillettes qu'ils ont sorties une fois :
On était alors chez nous (= à la Forge), ils logeaient là aussi dans la grange ; on était dans la cour avec ma maman, et qu'est-ce qu'on voit arriver : une voiture avec deux allemands ! Elle me dit "Ca y est, on a été vendus…" On craignait que le châtelain de Pierrefitte nous ait vues, parce qu'il regardait toujours partout avec ses jumelles… et il collaborait un peu. Les deux allemands s'avancent, l'un nous dit "donnez-moi une poule", ce que ma mère a fait et ils sont partis ! Elle nous disait souvent après "j'ai jamais donné une poule de si bon cœur !"
Et les Russes, ils étaient dans la grange, avec les bouts des mitraillettes qui sortaient par les trous… prêts à tirer s'ils nous avaient fait des misères.
La grange où dormaient les Soviétiques,
au moulin de Montvernot
La blessure
Vous voyez, Victor, il était dans cette pièce (attenante à la pièce commune où on se trouve), il avait son pistolet sous le traversin. Il était blessé au coude, avec le bras comme ça (= en écharpe). Le lendemain matin, ils ont sorti la petite charrette à âne, ils ont ficelé un matelas dessus et ils l'ont ficelé lui sur le matelas pour que ça ne bouge pas. Et c'est ma belle-mère (mère de M. Martin) qui l'a monté aux Fraîchots[1] par les bois, accompagnée de M. Bertin qui était venu de Luzy. Il est resté en convalescence là-bas… Certains nous ont dit qu'il avait fini sa convalescence au château de Magny. C'est le docteur Benoist de Luzy qui l'avait soigné…
Au départ, la veille, c'est le Fernand Dubois qui l'avait pris là où il avait été blessé et l'avait amené ici, au moulin, en voiture à cheval. Auparavant, ils avaient traversé la cour chez nous (à la Forge) parce qu'ils étaient passés pour nous dire qu'ils l'emmenaient chez M. Martin ; le blessé était assis sur la voiture à cheval, à côté du conducteur, enveloppé dans une couverture, je le revois encore…
Ca se passait longtemps avant la mort de Victor, qu'on avait apprise certainement par quelqu'un des Fraîchots, mais après la blessure de Victor, on ne les a jamais revus…
Commentaire : les détails semblent correspondre à ce qu'on sait de la blessure du compagnon polonais de "Viktor", lorsque celui-ci fut tué. Avait-il été blessé quelque temps auparavant ? Ou bien la mémoire de Mme Martin lui joue-t-elle des tours... J'ai peine à le croire. A suivre, donc...
La visiteuse
Moi : Avez-vous vu une femme agent de liaison venir les voir ?
- Oui, il y a eu une dame brune frisée, assez grande, une jolie femme. Je ne l'ai vue qu'une fois… Elle était habillée simplement, avec un pantalon. Pour nous c'était une Française car elle parlait très bien. Le soir elle dit à mon père :" Moi, ça ne me dit rien de coucher dans le foin, vous n'auriez-pas un lit de libre"… Mais il n'y en avait pas. Alors elle : "Mais je vais coucher avec mademoiselle"…. Mais moi je ne voulais pas… Elle a finalement couché toute seule dans la petite pièce du moulin, ma mère lui avait donné une couverture. (La description correspond d'assez près à Anna Skupien, l'agent de liaison avec Paris ; elle avait pu arriver en train par Nevers, descendant à Luzy ou à Millay).
Remarquons qu'aucun autre personnage ne leur a rendu visite pendant leur séjour
[1] Les Fraîchots : cantonnement du "maquis Louis" du SOE, qui se situe à vol d'oiseau à environ 3 kilomètres à l'Ouest de Montvernot
Remarque : le récit colle de très près à ce que nous savons de l'histoire du maquis soviétique lors de sa présence dans le Morvan. Trois détails nous laissent penser que le groupe dont il est question ne constituait qu'une partie de l'effectif total ; le nombre d'abord (à peine dix) alors que tout indique qu'ils étaient une quinzaine, ensuite la présence d'un seul Polonais (nous en avons identifié deux)... et surtout l'absence d'un Français (Maurice Sauvageot) que nous savons être resté en permanence avec les Russes.
Les lieux, au pied du mont Beuvray.... En bas à droite, le village de Poil où est enterré Alexandre Tcherkasov 'Viktor"
Récit d'André Forest, recueilli en juillet 2009, en son domicile de Saint-Léger-sous-Beuvray
AF mentionne un souvenir très présent : celui de maquisards russes avec un brassard bleu-blanc-rouge muni d'une faucille et d'un marteau. Pour lui le groupe était itinérant, mais a été un temps cantonné dans le secteur. Il a une anecdote saisissante qui les met en scène ; le groupe avait envoyé un gars en vélo chercher trente couronnes de pain à la boulangerie de Poil tenue par son père ; le jeune homme ayant du mal à tout transporter, le père invita André à partir avec lui pour l'aider à transporter tout ça vers le groupe. Seulement, en cours de chemin, ils furent rattrapés par un side-car allemand, dont les occupants ne furent pas longs à comprendre à qui ils avaient à faire. Le Russe au brassard fut invité à poser son vélo et à repartir … dès qu'il fut à bonne distance, le gars du pannier déchargea sur lui sa mitraillette, le gars tomba et le side-car repartit ; miracle, le Russe d'abord évanoui, se releva indemne ! il s'était laissé tomber quelques 10èmes de secondes avant la rafale ! Cela se serait passé au hameau de Concley (nom relevé approximativement ????).
André Forest précise que ce groupe était mal armé, et que le maquis Louis leur avait passé des armes.
A découvrir aussi
- Le maquis russo-polonais de Saint-Loup-de-la-Salle
- MAQUISARDS RUSSES - article du site HSCO
- Alexandre Tcherkasov - la cérémonie, la presse régionale
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