Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

GASTON 1 : Arrivée d'un chef militaire en septembre 1943

 

 


L'ensemble de l'affaire ici résumée en quatre pages fait l'objet d'un long article publié dans le n°157 de décembre 2012 de la revue "la Physiophile", éditée à Montceau-les-Mines. Vous pouvez vous procurer ce numéro en contactant la revue - cliquez ici

 

L'histoire est celle du premier groupe de combat mis en place par la MOI à Montceau-les-Mines ; ayant commencé ses actions fin septembre 1943, il fut démantelé début octobre (*)… En tant qu'organisation, la MOI arrêta alors son action militaire dans le bassin minier montcellien et privilégia durant plusieurs mois l'action politique et le développement dans les quartiers. Les FTP-MOI ne retrouvèrent une place dans les actions militaires de la résistance qu'en avril 1944, au sein de ce qui deviendra le maquis Mickiewicz…

 

Partie 1 - L'arrivée d'un chef militaire FTP-MOI en septembre 1943 - lire ci-dessous

Partie 2 - La chute du groupe de combat - cliquer ici.

Partie 3 – La mémoire étouffée de ce drame - cliquer ici.

Partie 4 – Biographie d'Henri Pawlowski "Gaston" - cliquer ici.

 

 

(*) Jean-Yves Boursier le signale dans son livre Chroniques du maquis (1943-44), FTP du camp Jean Pierson et d'ailleurs - l'Harmattan 2000.

 



 

Partie 1 - L'arrivée d'un chef militaire FTP-MOI en septembre 1943

 

 

La MOI, structure du mouvement communiste pour les immigrés, ne paraît pas avoir existé avant la guerre dans le bassin minier de Montceau, les rares Polonais (ou Italiens) affiliés au mouvement communiste étant alors rattachés au parti communiste français. Un noyau lié à la section nationale polonaise de la MOI (on disait plutôt : "à la direction centrale des groupes de langue polonais auprès du parti communiste français") apparaît distinctement en 1942 ; initialement, il est en charge d'assurer un refuge pour les activistes polonais du Nord / Pas-de-Calais entrés dans la lutte armée précocement et terriblement réprimés[1]. Situé sur la ligne de démarcation, Montceau était une étape pour le passage en zone Sud.
L'implantation de la MOI s'était faite par le biais de responsables envoyés depuis Paris ; ils venaient d'abord périodiquement à Montceau donner leurs instructions et suivre la formation des cadres du mouvement. Depuis le début du mois d'avril 1943, Wladyslaw Kudla, ancien responsable de la région de Lens, était installé à demeure. Ces cadres-organisateurs s'appuyèrent initialement sur quelques militants communistes d'avant-guerre, mais ils cherchèrent en priorité à rallier de nouvelles figures, sélectionnées pour leur patriotisme ou leur énergie militante et souvent membres déjà de l'organisation des "scouts rouges", qui existait depuis 1936. Ils avaient ainsi mis sur pied des groupes de jeunes, rassemblés au départ sous couverture d'activités sportives, qui servaient de base à des tâches de propagande ou à de petits sabotages au travail. De tels groupes commençaient à voler de leurs propres ailes dans les quartiers de la Saule et du Magny ; celui des Gautherets était sur le point de faire de même, mais les colonies polonaises des Baudras et des Essarts n'étaient pas organisées. Pour la MOI polonaise, l'action résistante n'était qu'un volet d'une démarche politique plus globale qui visait à gagner au communisme l'émigration polonaise, en opposition à l'influence de l'église et à celle du gouvernement légal réfugié à Londres, qui avait implanté précocement son propre mouvement de résistance, la POWN.

A la mi-43, on assiste à un coup d'accélération des initiatives de la M.O.I : l'indice le plus flagrant est la diffusion dans les quartiers polonais, à compter de la nuit du 11 au 12 septembre 1943, d'un tract retentissant. Il s'agit d'une édition spéciale du journal national Zwiazkowiec (le Syndicaliste), qui exceptionnellement est consacrée ce mois-là à un seul bassin, celui de Montceau – voir ici.
C'est pour ajouter à ce travail politique une dimension strictement militaire, qu'un cadre militaire est envoyé de Paris en septembre 1943. L'objectif est de constituer en S&L une unité du mouvement des FTP-MOI que l'organisation a pour objectif de développer nationalement. Déjà, durant l'été, le groupe des "sportifs" du Magny s'était procuré des explosifs à la mine et avait réussi le sabotage d'un bief du canal du Centre[2].
Dans tout le bassin minier l'impatience de passer à l'action grandit, et l'organisation polonaise peut espérer profiter de cet état d'esprit pour recruter massivement parmi la jeunesse immigrée, d'autant plus que les organisations concurrentes sont absentes de ce terrain : la POWN n'envisage le passage à l'action armée qu'en appui aux forces alliées après le débarquement ; les FTP français locaux (FTPF, avec qui la MOI n'a pratiquement aucun contact et qui recrutent volontiers des Polonais) sont objectivement très en retard et  n'ont pas encore de groupes de combat. Ajoutons qu'un objectif économique évident s'offre pourtant à tous : les voies d'écoulement du charbon de la mine, chemin de fer ou canal du Centre, sont encore pratiquement indemnes de sabotages dans cette partie du département.

Le centre parisien de la MOI met à disposition de l'organisation polonaise de Montceau un jeune combattant, du nom d'Henri Pawlowski, qui est passé par le détachement juif des FTP-MOI parisiens commandés par Missak Manouchian. La dissolution du détachement juif en août 1943 l'a rendu disponible et il a acquis une courte expérience du sabotage ferroviaire au sein due détachement dit " des dérailleurs". Son pseudo au sein de la MOI est "Gaston" et il dispose d'un jeu de papiers d'identité au nom d'Henri Pierson. On peut être surpris de ce choix : l'expérience de "Gaston" en matière de lutte armée est récente et son profil est décalé par rapport à la population montcellienne : alors que jusque-là les émissaires envoyés de Paris se fondaient aisément dans la masse des mineurs dont ils partageaient l'histoire, "Gaston" est juif, n'a pas de passé ouvrier et ne parle pas couramment Polonais. Si l'on en croit le témoignage du dernier survivant de son groupe[3], ses compagnons le prenaient pour un intellectuel français. Mais les combattants professionnels susceptibles d'être mutés sur un nouveau terrain ne couraient pas les rues ; peut-être considérait-on que ses caractéristiques étaient en fait des atouts pour devenir un bon "clandestin".

 

 

L'installation de "Gaston"

 

Courant septembre 1943, c'est une jeune femme du quartier des Gautherets, Zofia Kokot, qui va le chercher à Paris. La famille Kokot fait partie de ces familles polonaises qui étaient de gauche à leur arrivée en France dans les années 20 et qui se sont ralliées aux envoyés de la MOI lorsque ceux-ci sont apparus à Montceau : le père, Michal Kokot, membre de la CGT et probablement proche du parti socialiste polonais PPS, mit son logement à leur disposition et, dès les débuts de l'action clandestine, Zofia joua le rôle d'agent de liaison entre les quartiers, tandis que son frère Mieczyslaw participait à un groupe de jeunes "sportifs" - voir bio de Michal Kokot .

 

 

- Zofia Kokot -

"Gaston" arrive à Montceau avec une nouvelle identité : Henri Pierson, natif de Metz, est devenu Henri Piron, catholique, né le 7 juin (une constante), mais en 1919 et à Toulouse, profession : employé de commerce. Il va pouvoir bénéficier du système de liaisons régulières qui fonctionne entre Paris et Montceau, assuré par des jeunes femmes, dont Zofia Kokot.

 

- La planque de Gaston, au 7 de la rue Jean Bouveri (aujourd'hui le n° 38) -

 

On a trouvé au nouveau venu un petit logement, pas très loin de la gare, au 7 de la rue Jean Bouveri, du nom du syndicaliste mineur, devenu député-maire de Montceau après la grande grève de 1899. Le petit immeuble d'un étage est des plus modestes (on le voit encore en 2011, dans un état qui ne semble pas avoir beaucoup changé depuis les années 40) ; il possède alors trois logements principaux où habitaient – selon le recensement de 1936 - une lingère, un peintre en bâtiment portugais avec sa famille et un couple de retraités ; à l'étage, en haut de l'escalier extérieur d'accès, une pièce rapportée devait être louée en meublé. C'est certainement là qu'était domicilié Henri Piron. Une cave, accessible de la cour, allait lui permettre de ranger son vélo. De l'autre côté de la rue, une demeure plus cossue, dont le jardin ombragé fait l'angle de la rue Jean-Bouveri et de la rue des Oiseaux, héberge des voisins irréprochables : ce sont des gradés des Douanes allemandes qui resteront dans cette maison réquisitionnée jusqu'à la fin de l'Occupation. A deux-cent mètres environ, à l'autre bout de la rue Jean Bouveri se trouve la gendarmerie. On comprend que, dans la géographie de la ville, il s'agit d'un quartier non ouvrier, composé surtout d'employés, de petits commerçants ou d'artisans, voire, à mesure qu'on se rapproche de la gare, de gens plus aisés… En deux enjambées, Henri peut se retrouver dans ce centre-ville qui offre la plupart des lieux de rencontre, ou bien atteindre rapidement les premières cités minières.

Lui a-t-on trouvé un emploi, pour servir de couverture à son installation ? Nous n'en savons rien, mais c'est plus que probable, car que vaut pour la police une nouvelle identité si elle n'est pas associée à une source honnête de revenus et de tickets de ravitaillement ?

 

Avec l'appui des noyaux FTP-MOI polonais du bassin minier, il a vite fait de monter une équipe d'une quinzaine d'hommes sûrs. Des témoignages retrouvés, on comprend qu'il prendra avec lui quelques audacieux qui ont déjà participé à diverses actions (ainsi de Louis Walczak, Mieczyslaw Skoczek, Mieczyslaw Kokot, le frère de Zofia), mais surtout des hommes de confiance des Essarts et des Baudras, issus de vieilles familles de gauche du quartier : les Szewczyk, les Smolarz, les Kuchta… Il n'empiète pas sur les groupes déjà existants à la Saule et au Magny.

Très rapidement le groupe va vouloir passer à l'action et son objectif sera d'organiser des déraillements ferroviaires, opérations pour lesquelles l'expérience récente de "Gaston" allait être précieuse. La police leur attribuera deux sabotages réalisés sur la portion de voie ferrée comprise entre Montceau  et Ciry-le-Noble ; plus tard, l'information se répandra qu'ils avaient réalisé au moins un déraillement près de Luzy, dans la vallée de l'Arroux à une quarantaine de kilomètres de Montceau.

 

- "Gaston" et quelques membres de son groupe de combat - 

 

Mais pour être mobile et parfaitement efficace le groupe a besoin de bons vélos ; or ceux de plusieurs de ses membres sont en très mauvais état, et "Gaston" doit s'en procurer un. Comme on le fait régulièrement à Paris, il est décidé d'en dérober… et c'est cette action apparemment mineure qui va entrainer la chute rapide de "Gaston" et de quatre de ses nouveaux camarades.

 

 

Voir la suite :

Partie 2 - La chute du groupe de combat - cliquer ici

Partie 3 – La mémoire étouffée de ce drame - cliquer ici.

Partie 4 – Biographie d'Henri Pawlowski "Gaston" - cliquer ici

 


[1]  Lorsque, après l'attaque allemande contre l'Union soviétique , le 22 juin 1941, Staline appelle le mouvement communiste international à engager la lutte armée contre les Allemands, partout en Europe, on sait que le PCF trouva surtout des militants prêts à s'engager dans un tel combat au sein des jeunesses communistes  urbaines ("les bataillons de la jeunesse") et parmi les émigrés restés organisés dans la MOI ; ceux du  Nord / Pas-de-Calais, essentiellement des Polonais, déclenchèrent alors une lutte armée féroce et désespérée, au terme de laquelle ils furent laminés par les polices françaises et allemandes. Nombreux furent ceux qui durent fuir la région…

[2]  Archives privées, à Varsovie.

[3]  Témoignage de Jan Kuchta, rencontré en février 2010 à son domicile de Sosnowiec, en Silésie.

 

____________

 

Sources consultées pour cette recherche : Archives départementales de S&L, Service Historique de la Défense (Vincennes et BAVCC de Caen), Archives nationales polonaises...



12/01/2013
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