Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Jeunes grévistes de 1941

 

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Le mois de décembre 1941 allait être marqué par un mouvement de grève des mineurs, le premier de la période de l'Occupation. Pas de revendication patriotique directe dans cette affaire, seulement un très classique mouvement social, monté de la base, largement spontané, en réaction à la dégradation du ravitaillement. Cette dégradation frappait toute la population, mais la corporation des mineurs était la mieux placée pour réagir, d'autant qu'elle était touchée dans des avantages spécifiques que justifiait la dureté du travail...

La situation du ravitaillement était telle que l'administration reconnaissait volontiers les faits ; on le voit dans cet extrait d'un rapport du commissaire de police de Montceau au sous-préfet de Chalon-sur-Saône, en date du 14 décembre 1941, deuxième jour de la grève :

 

 

"… Il est à craindre que si des mesures ne sont pas prises immédiatement, en ce qui concerne le ravitaillement déficient, surtout en vin, beurre, fromage et matières grasses, que le mouvement de protestation prenne plus d'amplitude et gagne toute la concession, soit 9 à 10.000 ouvriers environ.

Le ravitaillement des ouvriers est déficient quant aux denrées précitées, ce qui a déjà été signalé. Les rations de vin ne sont pas honorées en totalité ou pas du tout, pas plus bien souvent que le fromage et le beurre, ces deux dernières denrées étant la base-même du casse-croûte du mineur.

Les mineurs savent que la ration de vin est supérieure dans d'autres mines, et c'est ainsi que certains de zone libre se verraient attribués des rations journalières de deux litres. Ils demandent plus de justice dans la répartition.

Pour le pain, des promesses auraient été faites aux mineurs quant à une augmentation de leur ration de 400 grammes. Ils sont étonnés de constater qu'elles ne soient pas suivies d'effet.

Ils réclament également pour les chaussures de travail, dont certains sont obligés de faire usage, et ne peuvent s'en procurer. Le remplacement des effets de travail est également à l'ordre de leurs revendications.

Il est étonnant à Montceau de ne pas voir à cette époque de fruits sur le marché (pommes, noix, marrons, voire même oranges) ; ils seraient pourtant nécessaires comme complément pour l'alimentation de cette population laborieuse."

  

Pas de clivage de nationalité dans l'action ; Français, Italiens, Polonais allaient participer avec autant de détermination. Les arrestations de courte durée qui suivirent, pour entrave à la liberté du travail, frappèrent indistinctement toutes les communautés.

Cette page ne veut pas raconter l'histoire de cette grève ; je vous renvoie à l'article de Roger Marchandeau, publié dans la Physiophile, n° 137, de décembre 2002 et reproduit ci-dessous… (cliquer le texte pour agrandir)

 

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Je veux seulement présenter un moment significatif de ces journées, l'arrêt de travail du crible de Laugerette, en solidarité avec les mineurs des puits Darcy, action menée à l'initiative d'un jeune trieur Polonais du quartier des Essarts…

Situés à la sortie des puits, les ateliers de triage étaient destinés à débarrasser le charbon des pierres ou autres débris remontés du fond. Le travail était particulièrement pénible ; dans une ambiance sale et bruyante, debout dans les courants d'air, on retirait les cailloux à la main du charbon qui défilait sur des tapis roulants. Etaient employés là des femmes et des gamins, dont c'était le premier poste à leur embauche dès 14 ans. Ces chantiers étaient dirigés par des "marqueurs", des agents de maîtrise souvent arrogants et brutaux avec les femmes et les enfants placés sous leurs ordres.

 

 

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AU CRIBLE DE LAUGERETTE, LE 17 DECEMBRE...

 

Note du commissaire de police de Montceau au sous-préfet de Chalon, 17 décembre 1941 :

 

 

 "J'ai l'honneur de vous rendre compte :

La journée du mercredi 17 décembre s'est déroulée de la façon suivante en ce qui concerne les grèves au bassin minier de Blanzy :

MATIN - Bois-du-Verne – Quelque flottement avant la descente mais descente normale.

Plichon - Quelque flottement avant la descente mais descente normale.

Alouettes et Saint-Louis – descente normale.

Saint-Amédée, Laugerette, Ramus – Descente normale.

Darcy I et II – 260 ouvriers environ sur un effectif de 450 ne sont présentés à la Mine, n'ont pas voulu descendre et sont rentrés chez eux.

                Dans le courant de la matinée, un incident s'est produit au puits Laugerette – section du crible. Là travaillaient des femmes et des jeunes gens de 14 à 16 ans. Ce matin, dans ce chantier, tout le personnel masculin, à l'exception d'un, se sont arrêtés de travailler sur le chantier. L'incident a duré environ une heure. Une pancarte à la craie sur un bout de tôle noire était apposée. Elle disait :

 "Avis – M.M. Tous les ouvriers refusent de travailler sans avoir du pain, du gras, de la viande."

L'enquête aussitôt menée a permis d'établir que la pancarte avait été faite et placée par le jeune CANE René, né le 21-01-27 à Sanvignes-les-Mines et y demeurant au hameau de Montmaillot.

                A l'instigation du jeune FIEDOS Wladimir, né le 1er mars 1926 en Pologne, demeurant aux Baudras A3, commune de Sanvignes-les-Mines, le sieur PACEK Boleslas, né le 29-04-1925 …, demeurant aux Essarts 18/2, commune de Sanvignes-les-Mines, paraît être l'instigateur du mouvement qu'il prévoyait depuis quelques jours.

                En raison du jeune âge des intéressés une sévère réprimande leur a été faite, toutefois, par ordre de Monsieur le Sous-Préfet de Chalon-sur-Saône et pour marquer la sanction de la faute, le jeune CANE René sera maintenu pendant 48 heures au commissariat."

 

Une note manuscrite signale également un 4ème garçon, Jean GORDAT, né le 15-01-1927, demeurant à Ramus, commune de Ciry-le-Noble, comme s'étant fait particulièrement remarquer. Ainsi, les instigateurs mêlaient toutes les nationalités, deux Polonais, un Italien (Cané), un Français...

 

Le commissaire interroge évidemment les gamins et tous racontent la même histoire ; ci-dessous la déclaration de Boleslaw PACEK :

 

 

Procès verbal

 

L'an 1941, le 18 décembre,

Nous, Marcel DIVES, Commissaire de Police de la circonscription de Montceau-les-Mines, officier de Police Judiciaire, auxiliaire de Monsieur le Procureur de la République.

(…) Mandons le nommé PACEK Boleslas, né le 29 avril 1925 à Ostricourt (Pas-de-Calais) demeurant aux Essarts n° 18/2 à Sanvignes-les-Mines.

                Je suis employé comme trieur au crible du Puits Laugerette. Hier matin, je suis arrivé sur le crible vers 6h et j'y ai trouvé plusieurs camarades qui m'avaient précédé ; le travail n'était pas encore commencé et ils se chauffaient près d'un poêle. Je me suis approché d'eux et j'ai pris part à leur conversation qui roulait sur les incidents produits la veille au puits Darcy par de nombreux ouvriers qui avaient refusé de descendre dans le puits. J'ai proposé de faire comme eux et ne pas commencer le travail tant que nous n'aurions pas la promesse d'obtenir des rations supplémentaires de pain, de viande et de matières grasses. J'avais appelé d'autres camarades près de nous, notamment le nommé Cané. Tous ont abondé dans mon sens et l'un de nous, Fiedos a proposé de faire une pancarte pour y faire figurer nos revendications. C'est Cané qui s'est chargé de ce travail et il a tracé l'inscription suivante avec de la craie sur un morceau de tôle : "Messieurs, tous les ouvriers refusent de travailler sans avoir de pain, viande, gras". L'un de nous a placé ensuite la pancarte bien en évidence sur le chantier.

                Le marqueur survenu peu après nous a donné l'ordre de commencer le travail, mais personne n'a obéi. C'est seulement à l'arrivée de l'ingénieur qu'on était allé chercher et après que celui-ci nous ait promis qu'il nous ferait obtenir des rations supplémentaires que nous avons pris le travail.

                Lecture faite, persiste et signe…

 

Le conflit allait effectivement se terminer comme il avait commencé, puits par puits, après que les mineurs eussent obtenu des améliorations…  

 

On connaît le trajet ultérieur de deux des jeunes : Boleslaw PACEK allait rejoindre le mouvement de résistance POWN de son quartier puis le maquis de Marigny ; René CANE allait rejoindre l'AS et le maquis de Sylla…

 

 

DEJA AU PUITS PLICHON, EN MAI 1941

 

Notons que cette combativité des jeunes cribleurs ne concernait pas que ceux de Laugerette. Un mouvement analogue nous a été rapporté au crible du puits Plichon, qui se serait déroulé le 25 mai 1941, hors donc de tout mouvement collectif. Là aussi le travail fut arrêté par des gamins de 14 à 16 ans pour des raisons de ravitaillement. Ils voulaient obtenir la même catégorie de tickets (dite J3) que les jeunes travaillant au fonds. Et les trois instigateurs furent mis à pied sine die par l'ingénieur : il s'agissait là encore de deux Polonais et d'un Français : DWORAK qui partit travailler en Allemagne, Kazimierz KAJETANEK (qui nous raconta l'affaire - lire ici -) et JACKSON, ces deux derniers devant être réembauchés ultérieurement.

 

 

 

Sources : Physiophile 137, ADSL 3060W219



07/03/2014
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