Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

1926 - 1936 Les souvenirs de 10 ans d'émigration aux mines de Blanzy

Cet article est parue à Varsovie en 1939, dans la revue de sociologie de l' Instytut Gospodarstwa Spółecznego (Institut d'économie sociale), dans la rubriques "Mémoires des émigrés"

 

L'auteur est anonyme (*)

 

Traduction Justyna Budzyk – 2 novembre 2016

__________________________________________________________

 

Résumé de la première partie :

 

Le personnage est né le 18 mai 1902 dans la commune de Bielsko-Biała, dans la Silésie de Cieszyn (Śląsk Cieszyński), région disputée entre Pologne et Tchécoslovaquie.

Son père alcoolique décéde en 1912 et sa mère va se remarier.

En 1915, il interrompt définitivement l’école communale, à 13 ans, et devient apprenti chez un maréchal-ferrant.

En 1917, il devient ouvrier dans une usine métallurgique de la commune voisine de Frystat, puis travaille dans le bâtiment

Le 5.11.1918, il est embauché dans la mine de Karwin (entreprise Larisch).

Citoyen polonais résidant en Tchécoslovaquie, ayant échappé au service militaire, il est recherché par la gendarmerie polonaise en tant que déserteur ; il doit rentrer en Pologne où il est incorporé dans la cavalerie et participe à la fin de la guerre contre les Bolcheviks.

Il est démobilisé en 1925, mais en tant que Polonais, il ne retrouve plus son travail en Tchécoslovaquie et décide d’émigrer.

 

 

Traduction intégrale de la fin :

 

"Je suis parti le 25.08.26 à Mysłowice, ensuite à Toul, puis aux Mines de Blanzy. Durant le voyage, la journée je regardais le paysage et je somnolais la nuit. Le voyage a été mouvementé, avec des moments parfois indécents. A Toul, une fille a appelé au secours mais personne n’a bougé, car elle ne l’avait pas mérité pendant le voyage. Cinq ans plus tard, j’ai rencontré cette fille, en société, et après une longue conversation je lui ai fait comprendre que je connaissais l’histoire de son voyage vers la France. Elle a quitté les convives, personne ne savait pourquoi, sauf moi. Tout le monde m’a posé des questions pour savoir ce qui s’était passé, mais je n’ai fait que rire. A la fin, ils continuaient de me demander des explications et ils insistaient. J’ai fini par expliquer, mais pas devant tout le monde, seulement à une dame chez qui j’avais habité par le passé.

Une fois arrivés dans le bassin minier, nous avons été répartis dans des baraquements. J’avais l’impression d’être en prison même s’il n’y avait pas de surveillance. A cause du manque d’hygiène, j’ai décidé de ne pas y rester et j’ai commencé à chercher un autre logement. Je n’ai passé que deux semaines dans ce baraquement, puis je suis allé vivre chez des gens, également dans un baraquement, mais c’était déjà autre chose, même si je devais payer plus. Cela ne me gênait pas car j’aimais la propreté. En quatre ans, j’ai souvent changé de domicile. Une fois installé, je payais le loyer régulièrement, mais je ne me laissais pas mener par le bout du nez, pour une raison ou une autre. Je finissais par partir pour des raisons diverses, mais parfois plus sérieuses, par exemple à cause des filles, du travail qui devait être fait mais ne l’était pas, et même à cause des femmes qui cherchaient ma compagnie, ce que je ne souhaitais pas.

Je ne voulais pas me déshonorer et cela ne s’est pas produit jusqu’à ce jour, c’est-à-dire jusqu’en 1935.

S’agissant du travail à la mine : dans ces mines, le travail est long, à certains endroits il fait relativement chaud. Quant à l’argent : qui veut gagner bien, doit travailler de toutes ses forces et lécher les bottes - on ne peut pas faire autrement. Celui que revendique est mal vu, même quand il a raison. J’ai connu beaucoup de gars qui sont morts au boulot, ici ou en Pologne, car ils voulaient être reconnus comme bons mineurs. Cette reconnaissance n’a pas duré longtemps : certains ne mangeaient pas à leur faim et tombaient malade, les uns par avarice, les autres par inconscience. Ils ont compris trop tard, et il n’y avait plus rien à faire. J’avais des collègues venus de Pologne, des gars costaux, qui maintenant trainent à peine. Certains sont à l’hôpital depuis six mois et ne vont pas guérir. Pour ce qui me concerne, je ne vais pas mal.

Je n’ai pas cherché à être le meilleur mineur, je ne mettais pas l’argent à la banque et je ne le fais toujours pas, pour ne pas le donner à un banquier qui en profiterait avant de disparaître, comme cela s’est passé ici. Le banquier polonais Kara (en vérité Kaminski, cela s’est passé en 1930) a ramassé les économies des mineurs polonais - 700.000 francs et 400.000 dollars  - et il a disparu un jour. On a vu des scènes terribles devant la banque, quand la nouvelle s’est propagée, et tout cela par avarice, car le banquier promettait des taux d’intérêt importants. Il les marquait sur le registre. Personne ne retirait l’argent. J’ai connu des gens qui privaient leurs propres enfants et leur famille pour mettre leur argent à la banque. Certains avaient 10 000 à 30 000 francs. Ils se sont retrouvés sans rien et certains ont perdu la santé.

Je n’ai pas beaucoup d’économies mais je ne suis pas non plus sans le sous. Je sais que je dois travailler dur. Je dois aussi me nourrir convenablement. Je préfère dépenser mon argent chez un boucher, chez un boulanger ou, éventuellement, au restaurant que de le laisser à un banquier ou à un médecin. Après un mois passé en France, j’ai envoyé plusieurs lettres en Pologne, et même en Tchécoslovaquie, pour informer de mon arrivée. Certaines personnes ont été très étonnées et n’ont pas pu le croire. Et pourtant, c’était vrai. Ensuite, j’ai décidé d’apprendre le français. J’ai commencé avec un professeur polonais, déjà naturalisé Français, car il était venu à Paris en 1912, m’a-t-il dit. C’était un homme fort aimable et courtois. Nous avions des cours deux ou trois fois par semaine et je payais 30 francs par mois. Les cours ont duré deux ans. Je ne peux pas dire que je n’ai rien appris. Le français est une langue difficile, surtout l’orthographe et la lecture, mais au bout de trois ans je n’avais plus besoin d’interprète et j’aidais même souvent les autres. D’ailleurs, je le fais toujours.

Quant aux autorités polonaises en France. Après deux ans passés en France, j’ai commencé à envisager le mariage. J’avais des « fiancées » en France et elles m’auraient épousé volontiers. Mais elles étaient trop fières et j’ai décidé d’épouser mon ancienne fiancée. Ce n’était pas facile car elle était en Tchécoslovaquie. Il fallait trouver une astuce pour la faire venir en vue du mariage. Les premières démarches ont été faites à la mine car, par le passé, la mine s’occupait habituellement de ce genre d’affaires. Après, ce n’était plus le cas, pour plusieurs raisons et principalement à cause de la responsabilité engagée. Un ingénieur m’a dit de m’adresser au consulat. J’ai écrit un courrier pour demander conseil en tant que citoyen polonais. Un mois plus tard, j’ai eu la réponse. On m’a dit que je devais trouver un contrat de travail pour ma fiancée. J’ai eu du mal, mais mon professeur lui a trouvé du travail dans un restaurant, et j’ai envoyé le contrat au consulat. Trois mois plus tard, le consulat me l’a retourné, me disant que je devais l’envoyer à ma fiancée qui, sur cette base, pourrait obtenir son passeport. Je l’ai donc envoyé en Tchécoslovaquie. Quand ma fiancée est allée chercher son passeport, on lui a dit que ce n’était pas bien. Le contrat m’a donc été renvoyé. J’ai écrit une nouvelle fois au consulat et j’ai attendu la réponse, 3 ou 4 mois. Le consulat m’a informé qu’il fallait envoyer le contrat de travail au Ministère du travail pour qu’il soit validé. J’ai envoyé le contrat au Ministère du travail et j’ai attendu six nouveaux mois. J’ai du faire une relance par un nouveau courrier. Mais il est resté sans réponse et le contrat de travail ne m’a pas été renvoyé. Je me demandais comment je pourrais mener à bien cette affaire pour que les parents de ma fiancée ne me prennent pas pour un charlot. J’ai réalisé que ma fiancée était citoyenne de la République tchécoslovaque. J’ai donc écrit au consul tchécoslovaque, à Marseille, pour demander conseil. Huit jours plus tard, j’ai reçu une réponse très précise et la marche à suivre m’a été expliquée.

            J’ai toujours la copie du courrier du consul de la République Tchécoslovaque : « En réponse à votre courrier du 30.10.1928, je vous informe que votre fiancée doit disposer d’un passeport tchécoslovaque qui lui sera délivré par l’administration locale de Frystat, en Silésie. Elle doit avoir un acte de naissance qui lui sera nécessaire pour contracter un mariage en France. Pour obtenir le passeport et passer la frontière française, elle doit être en possession d’une invitation de venir en France pour contracter le mariage, établie par son fiancé. Le courrier doit être écrit en polonais, en tchèque et en français. Si la fiancée a 21 ans, elle n’a besoin ni de visa allemand ni de visa français. Si elle n’a pas 21 ans, elle doit disposer d’une autorisation de son père, et, si le père est décédé, de son tuteur et d’un juge tchécoslovaque chargé des orphelins.

En espérant avoir répondu à vos questions, je vous prie d’accepter l’expression de mes sentiments distingués

Consul (nom) »

Ce courrier était écrit en français.

Il a été suffisant : sur cette base, trois mois plus tard, ma fiancée est arrivée en France. Deux mois après, le mariage civil a été célébré. Le mariage religieux, auquel je n’étais pas très favorable, a eu lieu trois mois plus tard. Notre fils est né cinq mois plus tard. Nous l’avons appelé François. Son frère Henri est né un an plus tard. Il a maintenant six ans. Nous n’envisageons pas d’en avoir d’autres, car c’est assez pour un ouvrier qui vit à l’étranger. Les enfants sont en bonne santé car ils sont bien nourris. S’ils étaient plus nombreux, ils mangeraient moins bien et seraient plus fragiles face à la maladie. Quant au contrat de travail envoyé au Ministère : il ne m’a jamais été retourné. Il y a trois ans, la nuit, j’ai rêvé avoir  reçu un courrier du Ministère et 15 francs d’indemnité pour mon courrier mangé par des rats […].

            J’ai un logement de quatre pièces, fourni par la mine. Il me plaît. Certains, avec des familles plus nombreuses, vivent dans les mêmes conditions. Mon voisin qui a sept enfants dispose d’un logement identique, et d’un jardin comme le mien : 30 mètres sur 7. Quant à mes relations sociales : je suis bien reçu presque partout, par les Polonais comme par les Français, les Italiens, les Portugais, les Marocains et les autres. S’agissant des autorités françaises, je n’ai jamais eu de problèmes, on m’a même conseillé de demander la nationalité française. Côté salaire : je gagne actuellement, en tant que mineur, 35 à 40 francs par jour (pour une journée de 8 heures) et j’ai des primes ponctuelles, de 50 à 60 francs par mois. Je les garde pour moi car je sors parfois et je les dépense à cette occasion. Quand un homme marié est malade, sa femme touche une indemnité journalière de 10 francs et 50 centimes par jour, le premier enfant touche 1 francs 25, le second 1 francs 25. Le troisième enfant reçoit 1 franc 50, le quatrième 1 franc 50, mais l’allocation de maladie ne peut pas dépasser 16 francs par jour, même s’il y a dix enfants ou plus. En plus de cela, la caisse de maladie, après 3 mois de maladie, verse une somme de 50 à 100 francs par mois.

            Je suis membre de la CGT. J’avais déjà adhéré à une organisation syndicale en Tchécoslovaquie, de 1918 à 1923. Après mon arrivée en France, j’ai rapidement rejoint la section polonaise de la CGT. Je suis même délégué polonais à la CGT. Je n’ai été et je ne suis membre d’aucune autre association, car je pense que cela n’est pas utile, même s’il y en a beaucoup ici. En Tchécoslovaquie, j’ai été membre de « Ceskoslovenskoe telocvicny jednoty » (Union tchécoslovaque de gymnastique), en plus de mon adhésion syndicale. Je n’ai pas été au chômage durant mon séjour en France. S’agissant de mes dépenses : tous les 15 jours, j'ai besoin de 300 à 350 francs pour nourrir toute ma famille de quatre personnes. Avec le reste, nous achetons des vêtements, des chaussures pour tous, des objets pour la maison et nous mettons de côté quelques francs, au cas où.

            Les enfants fréquentent l’école polonaise et l’école française : ils apprennent une demi-journée en polonais et une demi-journée en français. Plus on est instruit, mieux c’est. Une fois, je suis allé voir l’instituteur et je lui ai fait comprendre que je voulais que mes enfants apprennent quelque chose d’utile. Je n’ai aucun contact avec le curé.

            Après le travail à la mine, je ne me repose pas. Pour avoir de l’estime auprès des Polonais – 500 familles polonaises habitent ici – je leur sers de traducteur : à la mairie, à la police, chez le médecin et ailleurs. Je le fait gratuitement, même si mes cours m’ont coûté de l’argent et du temps. Quant à la presse polonaise : il y en a pas mal ici et j’ai lu tous les titres. J’ai été lecteur et abonné pendant au moins 3 mois à : Narodowiec, Wiarus Polski, Prawo Ludu, Ognisko, Polak we Francji, Przewodnik Katolicki, Głos Wychodźcy, Opieka, Wolna Myśl, Tygodnik Polski. Actuellement, je lis Prawo Ludu, Wolna Myśl, Tygodnik Polski et, de temps en temps, Zloty Wiek.

            Je ne sollicite pas les aides sociales. Je suis content de mon actuel séjour en France. Quand le Front Populaire est arrivé au pouvoir, tout a changé et le sort des ouvriers s’est amélioré, grâce à des lois que nous attendions depuis plusieurs années : les congés payés, la réduction du temps de travail, la suppression des brimades à la mine pour un rendement jugé faible, parfois injustement, et surtout pour l'absence le jour de la fête du 1er mai : on n’était pas nombreux à vouloir chômer le 1er mai et nous étions persécutés de ce fait, mais nous avons tenus bons, sous un drapeau rouge, jusqu’à la fin, et je suis persuadé que cela ne reculera plus.

            Je n'envisage de rentrer en Pologne que si la situation change. Près de 2000 Polonais ont quitté ce bassin minier, pour différentes raisons. Il n’y a eu aucun licenciement ici. Ils ont été expulsés pour des vols, des bagarres, la prison : la loi française prévoit pour les étrangers la reconduite à la frontière si la peine est supérieure à 8 jours d’emprisonnement. Il est très rare que quelqu’un y échappe. Ceci est possible uniquement une seule fois, pour des motifs justifiés.

            Presque tous ici sont intéressés par ce qui se passe en Pologne. Nous nous sommes battus - près de la moitié de nous tous – pour la Pologne indépendante, populaire, non pas fasciste. En Pologne il y a suffisamment de travail et de pain pour tous ceux qui sont à l’étranger, mais on aurait besoin d’un autre système économique. En France, les Polonais membres de la CGT sont considérés par certains comme des citoyens de second rang. Les enfants de ceux qui n’ont jamais vu la Pologne parlent allemand. Je ne les envie pas. Plus on est instruit, mieux c’est. Ils reçoivent des médailles. Pour quelle raison ? Pour avoir mouchardé leurs compatriotes auprès des consuls. A bas les traitres à la classe ouvrière. Nous voulons une Pologne populaire et libre.

            Ecrit en 1936 par un émigré de Sląsk Cieszyński, en France depuis onze ans."

 

le 31 août 1936

 

 

(*) Recherche - Il est certainement possible de retrouver l'identité de l'auteur, en visitant l'état-civil des communes du bassin minier (Montceau, Saint-Vallier, Sanvignes ou Blanzy) : retrouver un mariage, probablement en 1929, d'un Polonais né en 1902 (le 18 mai) avec une femme de nationalité tchécoslovaque... Avec un peu de chance, on pourrait retrouver aussi la naissance des deux enfants en 1929 et 1930  (ou bien 1930 et 1931), deux frères peut-être prénommés Franciszek et Henryk (mais les prénoms ont pu être changés)...

Merci au lecteur de respol71 qui pourra nous apporter la réponse...

 



23/07/2023
2 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 448 autres membres