L'alcoolisme dans les quartiers polonais d'avant-guerre
Stanislaw MICHALCZAK, sur l’alcoolisme...
Ces réflexions de Stanislaw Michalczak répondent à une enquête menée par le consulat polonais de Lyon qui, face à l’alcoolisme trop répandu dans les colonies immigrées polonaises dans les années suivant l’arrivée en France, en recherchait les raisons. Il voulait en particulier comprendre si les ouvriers polonais buvaient plus que leurs homologues français.
Stanislaw Michalczak est né en Pologne en 1903 ; il était arrivé en France en 1923 pour rejoindre sa famille ; mineur au puits Saint-Amédée, il habitait aux Gautherets. Il fut un animateur infatigable du monde associatif naissant qu’il s’efforçait de développer et d’orienter vers l’épanouissement des individus, en vue de leur émancipation sociale.
Il a laissé des écrits étonnants de lucidité sur la vie aux Gautherets dans l’entre-deux-guerres... Ainsi celui-ci, sur l’alcoolisme, écrit en 1929, aborde lucidement un problème généralement laissé dans l’ombre.
" Le 31 octobre 1929
Il est difficile de dire si les Polonais en France boivent plus ou moins qu'en Pologne. Selon moi il y a beaucoup d'éléments qui le déterminent. Je constate que, en Pologne comme en France, la quantité d'alcool consommée dépend du niveau de la vie culturelle d'une ville. Là où la vie sociale et culturelle est plus développée la sobriété des habitants est plus élevée.
Il faudrait aussi savoir si les hommes se rendent compte de la nocivité de l'alcool pour leur santé ; quoi qu’il en soit, je suis persuadé qu'une campagne pour la sobriété pourrait donner des résultats positifs. Une telle campagne devrait aussi être menée parmi les femmes car beaucoup de mères et d’épouses ignorent totalement la nocivité morale et physique de l'alcool ; c’est probablement cette ignorance qui explique qu’elles tolèrent sans la moindre mauvaise conscience l'abus d’alcool de leur mari et de leurs fils.
L’observation objective d’importantes communautés en Pologne comme en France permettrait de constater que c’est là où l'activité en matière d'organisation, de culture et de vie sociale est la mieux développée que l'alcoolisme est le plus faible. Il faudrait exclure les grandes villes où la pénurie de logements et d’autres incommodités entraînent une baisse de la morale, et donc une recrudescence de l’alcoolisme.
Dans les campagnes polonaises où il n'y a pas d'activité culturelle, et pareillement en France dans les localités où le nombre de Polonais est faible, l'alcool est consommé en grande quantité.
Même si cette constatation semble ridicule, on dirait que ce comportement trouve sa source dans le besoin de rompre une vie trop monotone en se donnant des excitations spirituelles. On observe ça en Russie où le vide et l'ignorance ont poussé les Russes à boire beaucoup d'alcool. L'homme doit avoir la possibilité de vivre sa vie, et en plus de la vivre bien, sinon son existence deviendra lourde et pénible et il prendra la première chose qui se présente pour en remplir le vide ; et justement l'alcool est là, comme la solution – il tue le temps mais aussi la raison ; il transporte le vivant dans un autre monde.
Je ne dirais pas que les Polonais boivent plus en France qu'en Pologne ; mais le constat s’impose qu’ils sont ici plus malheureux, jusqu’à trouver souvent que leur situation est désespérée ; et en conséquence ils commencent à boire, d’autant plus qu’ils sont psychiquement faibles.
Les Polonais boivent donc plus que les Français pour cette raison que je viens de souligner. Le Français est au fond satisfait, puisque tous ses efforts sont orientés vers la possibilité de vivre mieux ; seuls les gens stupides sont attirés par l'alcool et cette catégorie n’est pas très nombreuse, pas plus d’ailleurs chez les Polonais que chez les Français. Toute la différence résulte du fait que pour le Polonais il est beaucoup plus difficile d’imaginer que sa vie peut s'améliorer. Le Polonais n'a pas autant de possibilités de réussir, car en France sa situation est beaucoup plus difficile. Rares sont ceux qui peuvent faire des économies et mener une bonne vie. Bien conscient qu'il est au bas de la hiérarchie sociale (et plus encore s'il manque de caractère), il perd ses moyens et commence à abuser de l'alcool. Il boit pour se consoler. Si son sort changeait, on peut supposer qu’il n'abuserait plus de l'alcool.
Il est bien évident que les hommes boivent plus que les femmes. La femme ivrogne est traitée par les ouvriers comme une prostituée, mais malgré tout on voit des femmes ivres, et d’autres qui simplement abusent de l'alcool.
Le mari boit souvent à cause de problèmes de famille, ou simplement par manque de caractère quand ses collègues l'invitent. Les hommes les plus âgés et mariés sont ceux qui boivent le plus, tout naturellement car les jeunes sont en train d’apprendre à le faire et n’ont pas encore pris le pli. Les adultes boivent par habitude et les jeune par fantaisie.
L’ouvrier comme l’intellectuel boivent à chaque occasion – le baptême, les obsèques, les mariages, les fêtes de famille, peu importe que la raison soit bonne ou mauvaise. Pareillement à l'occasion des fêtes
sociales, des réunions des associations, aux bals, dans les réceptions etc...
L'alcool est le grand et inséparable ami du travailleur épuisé. "
- L'auteur en 1932 -
Nota - une première évocation de Stanislaw Michalczak est parue dans l'article-reportage sur le déroulement de la Sainte-Barbe 1934 ; il était alors l'orateur de la CGT polonaise, objet d'une enquête policière...
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