30 juillet 1944 - mort de DZIUBEK et SIMON
2013
modifié décembre 2015 / 2021
Boguslaw Stanislaw DZIUBEK, citoyen polonais né le 14 février 1926, à Winiary, district de Busko-Zdroj, à une cinquantaine de kilomètres au Nord-Est de Cracovie, était arrivé en France à l'âge de deux ans, en 1928, le père trouvant alors un emploi dans une industrie de Miribel (département de l'Ain). Engagé dans la résistance au sein d'un maquis de l'Ain, il allait connaître une mort tragique en Saône-et-Loire...
Les tués du pont de "Pierre-Chaude"
Le 30 juillet 1944 à 18 heures, les gendarmes de la brigade de Blanzy sont prévenus téléphoniquement par M. Tillier Claude, adjoint au maire de St-Bérain-sous-Sanvignes, que les cadavres de deux inconnus se trouvent au milieu de la route, à 500 mètres à l'Ouest du bourg, au lieu-dit le "pont de Pierre Chaude".
- les lieux sur une carte actuelle (cliquer pour agrandir) -
A cet endroit la route départementale n°57, qui conduit de Blanzy à Toulon-sur-Arroux en traversant le quartier ouvrier du Bois-du Verne (commune de Montceau-les-Mines), franchit un ruisseau, source de l'Oudrache, un affluent rive droite de la Bourbince.
Se rendant immédiatement sur les lieux, les gendarmes font le constat suivant :
"Nous constatons que les corps de deux jeunes gens sont allongés sur le dos, baignant dans une mare de sang. Ils sont sur le milieu de la route à côté l'un de l'autre, la tête en direction de la Coudraie.
L'un porte une plaie à la boîte crânienne faite par une arme à feu, sur le côté gauche de la tête, d'où on aperçoit la matière cérébrale.
Le deuxième porte également une plaie à l'œil gauche et une autre en arrière de la tête. Ces blessures ont vraisemblablement été faites à l'aide de révolvers ou de mitraillettes.
Trois douilles de cartouches provenant de mitraillettes sont à proximité des cadavres. Le premier porte une chemise et un pantalon de couleur kaki, chaussé de brodequins.
Le second est vêtu d'un blouson vert, d'une culotte et d'une chemise kaki, chaussé de brodequins. Une casquette de sport de couleur blanche se trouve à côté.
L'un des cadavres a été reconnu par nous comme étant celui de SIMON Robert, né le 2 octobre 1919 à Blanzy.
L'autre a pu être identifié à l'aide d'une carte d'identité d'étranger trouvée dans l'une de ses poches, délivrée par la préfecture de l'Ain le 31 mars 1943, sous le n°40-C.L. 13163, valable jusqu'au 30.3.1946, au nom de DZIOBECK Stanislas manœuvre de travaux publics, domicilié à MIRIBEL (Ain). Dans une autre de ses poches, nous avons découvert une carte d'alimentation n°774, une carte de textile n°1483, ainsi qu'une carte de tabac. Toutes ces pièces sont établies au même nom et les deux premières portent le cachet de la mairie de MIRIBEL."
Le certificat du docteur Drevon, médecin au Bois-du-Verne (Montceau), précisera que c'est Robert Simon, qui a été atteint à l'œil, la balle ressortant par l'arrière du crâne…
Ce PV de gendarmerie établi au moment des faits n'apporte pas d'autres précisions, sinon que Robert SIMON faisait l'objet d'un mandat d'arrêt, en date de mai 1944, pour activités terroristes.
En réalité chacun sait que le territoire de la commune de St-Bérain-sous-Sanvignes est alors le domaine d'un maquis FTPF, établi dans les forêts durant l'été et étroitement imbriqué dans la vie villageoise. Il s'agit du maquis Morin, compagnie du 6ème bataillon FTP de Saône-et-Loire, composante lui-même du régiment Valmy. Le chef en est Ephysius ZUDDAS (nom de guerre "Morin"), militant communiste italien, ouvrier mineur aux houillères de Blanzy ; il a pour adjoint Marcel LAMOTTE (nom de guerre "l'Etudiant"), originaire de Chalon-sur-Saône. Les troupes sont majoritairement composées de jeunes du voisinage, originaires de St-Bérain ou bien de la cité du Bois-du-Verne, mineurs pour la plupart… Il n'est un secret pour personne que c'est une unité du maquis "Morin" qui a abattu DZIUBEK (véritable orthographe) et SIMON. Le PV des gendarmes n'en dira mot, certainement car il est transmis à la police allemande… élémentaire prudence de la maréchaussée.
L'enquête locale, la version des tueurs
Ce n'est qu'en novembre 1944 – deux mois après la libération de la région - que l'enquête se poursuit, les gendarmes interrogeant alors des anciens du maquis… La version que tous présentent est alors simple, la même pour chacun ; citons seulement l'un d'eux (témoignage recueilli le 21 novembre 1944) :
"Le 30 juillet 1944 vers 16 heures, le Chef de Groupe "Morin" qui avait le grade de Lieutenant a été prévenu personnellement que deux individus suspects se disant de la Résistance étaient de passage dans le bourg de St-Bérain.
Immédiatement, il a commandé un groupe puis il est parti avec ce dernier en contrôle sur les lieux.
Moi avec le reste de mes camarades que je ne connaissais que sous un faux nom (nom de maquis) sont restés de garde à notre poste, c'est-à-dire dans le bois de Chapeys, commune de St-Bérain-sous-Sanvignes. Vers 19 heures, le Chef de Groupe MORIN est rentré avec les hommes dont il avait le commandement et nous a fait savoir que de l'expédition dont il venait d'exécuter les ordres, deux hommes auraient été abattus par lui.
L'un d'eux était un nommé SIMON Robert de Blanzy, et l'autre un polonais dont l'identité n'était pas connue.
SIMON avait été signalé à plusieurs reprises à notre Chef de Groupe MORIN comme étant un faux maquisard et faisant partie de la Gestapo, au service des Allemands.
Mon chef de groupe MORIN s'est tué accidentellement en motocyclette le 27 septembre 1944 sur la route conduisant à St-Vallier.
Les autres camarades ayant pris part à l'exécution de SIMON et du polonais qui l'accompagnait ont tous été tués à Autun, lors de la prise de cette ville par les F.F.I. … "
Et c'est la thèse qui prévaudra désormais en Saône-et-Loire : SIMON et DZIUBEK étaient de faux maquisards, inconnus dans les maquis de la région, qui s'étaient rendus coupables de pillages de fermes. Portant le discrédit sur les vrais maquis, ils avaient été arrêtés et exécutés par "Morin", homme de réputation par ailleurs irréprochable, mort accidentellement au lendemain de la Libération. Fort opportunément sa compagnie avait été décimée lors de la libération d'Autun (10 septembre 1944), 27 de ses hommes étant fusillés dans les jardins du petit séminaire. On affirma donc que le groupe responsable de l'exécution n'était formé que de "martyrs d'Autun", de quoi fermer toutes les bouches…
Les résistants de l'Ain imposent leur point de vue
Malgré les efforts de la famille SIMON pour obtenir de meilleures explications, on en serait resté là si les résistants du département de l'Ain n'avaient tenu à honorer Stanislas DZIUBEK, qu'ils considéraient, eux, comme un authentique patriote, aussi courageux que désintéressé… La famille fit rapatrier le corps à Miribel, où il fut enterré avec les honneurs militaires. L'administration des anciens combattants ne fit aucune difficulté pour qu'il soit reconnu "Mort pour la France" et que ses ascendants reçoivent sa carte de Combattant volontaire de la Résistance, tout cela grâce aux attestations de ses camarades de la Compagnie Lorraine, unité des maquis de l'Ain où il s'était distingué… Et l'administration militaire se retrouva un beau jour avec ce cas singulier d'un résistant polonais, considéré comme un pillard en Saône-et-Loire mais comme un authentique héros dans le département d'à côté. Une nouvelle enquête fut donc diligentée, conduite à nouveau par la gendarmerie de S&L, afin d'éclaircir les conditions de la mort des deux hommes… Les mêmes résistants déjà entendus en 1944 firent de nouvelles dépositions ; surtout on interrogea cette fois les proches de SIMON, son oncle Claude, ancien maire communiste de Blanzy, et surtout sa mère, âgée alors de 75 ans, qui apporta tout ce qu'elle savait sur son fils (extraits de sa déposition, en date du 19 juillet 1957) :
"SIMON Robert était mon fils. Pendant l'occupation il vivait chez moi, rue de l'Abattoir à Blanzy. Il était employé comme mineur de fond aux houillères de Blanzy, à Montceau-les-Mines.
Courant 1942, il s'est affilié à un groupe de résistance (…) avec lequel il participait à des actions de sabotage, tout en continuant son travail à la mine.
Au début de 1944, pour échapper aux recherches, mon fils s'est rendu dans un maquis de l'Ain et dans le Vercors. Il était commandé par le lieutenant Boghossian.
Vers le 25 juillet 1944, après l'attaque du maquis du Vercors et suite à sa dispersion, mon fils est revenu à Blanzy accompagné d'un jeune polonais appelé DZIOBECK Stanislas. J'ai caché mon fils et son camarade pendant trois jours. Ensuite ils sont partis avec l'intention de rejoindre un groupe de maquis stationné dans la région montcellienne. Je me souviens du jour de leur départ qui était un jeudi soir, le 27 juillet 1944… (…) Je ne puis dire l'emploi du temps de mon fils et de son camarade, depuis son départ à la date de son décès."
Or, mis à part l'allusion au Vercors, tout le reste est bien vrai. Plusieurs camarades attesteront des actions auxquelles a participé Robert SIMON dans le bassin minier, sous la bannière des F.T.P, avant son départ dans l'Ain. Les recherches historiques actuelles en ajoutent d'autres. En fait Robert SIMON était parmi les plus intrépides des quelques jeunes résistants armés en action dans le bassin minier dès 1943, capable des actions les plus audacieuses…
Repéré, pourchassé par la police, sous le coup d'un mandat d'arrêt daté de mai 1944, il partit se réfugier dans l'Ain où il rejoignit la Compagnie Lorraine, qui relevait de l'A.S. ; c'est là qu'il fit la connaissance de Stanislas DZIUBEK, ce qu'atteste aujourd'hui l'historique de cette unité. (voir l'article lié : DZIUBEK et SIMON dans l'Ain).
Que se passa-t-il au retour ? La chronologie serrée produite par la mère démontre en tout cas qu'il n'eut guère le temps de devenir un agent de la Gestapo, pilleur de fermes… Des témoignages recueillis récemment en préparant cet article – mais oubliés des gendarmes de 1957 - démontrent en outre que c'est, fort de son expérience de la Compagnie Lorraine, avec l'idée d'aider à l'organisation du maquis, qu'il avait gagné St-Bérain-sous-Sanvignes avec son copain "Stanis". Ils avaient passé les dernières nuits dans une ferme amie, visité le forgeron du village qui était apparenté aux Simon, avant d'aller s'attabler au café Chandioux en vue justement de retrouver des maquisards. "Morin" et les quelques autres qui l'accompagnaient n'eurent donc aucune peine à se saisir d'eux et à les désarmer. Au vu de nombreux habitants du village, solidement encadrés, ils descendirent immédiatement vers le funeste "pont de Pierre Chaude" où ils allaient être abattus par surprise d'une rafale au visage. Un témoin nous dira que l'affaire avait été menée très rapidement ; entre l'entrée des tueurs dans le café et l'exécution il ne se serait pas passé plus d'une demi-heure.
Les raisons de ce double assassinat tiennent-elles à la personne de SIMON (un verdict le condamnant à mort avait-il été prononcé avant son départ dans l'Ain ? On dira que c'est un autre Polonais, ami et camarade des premiers combats de SIMON, qui avait été condamné aussi ; DZIUBEK aurait ainsi été tué par erreur) ? … ou bien l'explication tient-elle à la surexcitation de jeunes maquisards de la dernière heure, prompts à se prendre pour des justiciers sur la foi de n'importe quel ragot ?
C'est en tout cas la fragilité de la version officielle de leur mort qui remonta à l'administration des anciens combattants en charge du cas DZIUBEK. Le rapport final se conclut ainsi…
"Monsieur le Préfet de l'Ain à Bourg-en-Bresse, prié de vouloir bien faire effectuer une enquête très approfondie parmi les responsables des résistants de son département, a fait parvenir le 4 décembre 1959 une note de renseignements établie le 26 novembre 1959 par le service des renseignements généraux de l'Ain dans laquelle il est indiqué que la présomption d'agissement de DZIUBEK à des fins personnelles sous le couvert de la résistance est impensable pour tous ceux qui l'ont connu. Toutes les nombreuses personnes consultées au cours de l'enquête le donnent pour un jeune homme honnête, scrupuleux et courageux, très fier de lutter pour un idéal qu'il avait choisi sans contrainte. D'autres même vont jusqu'à supposer qu'il a pu être abattu pour avoir refusé de servir sous le drapeau des F.T.P.
Par lettre du 25 février 1960, Monsieur le Préfet de l'Ain a exprimé un avis favorable à l'attribution de la mention "Mort pour la France". Ce haut fonctionnaire a également adressé une note de renseignements complémentaires qui indique que faute d'éléments à la charge de DZIUBEK, seuls ses antécédents élogieux peuvent être retenus et qu'ils sont de nature à justifier un avis favorable."
Ainsi Boguslaw Stanislaw DZIUBEK, citoyen polonais né le 14 février 1926 à Winiary, résistant du département de l'Ain parti se réfugier à Blanzy, était définitivement lavé de toute accusation infamante. Comme son frère Marian, soldat au 3ème régiment de marche de la Légion Etrangère, tué le 30 janvier 1945 à Jebsheim (Haut-Rhin), il était reconnu comme étant "Mort pour la France".
Réhabiliter Robert SIMON ?
Son camarade Robert SIMON n'a jamais bénéficié d'une telle réhabilitation ; mort honteusement au terme d'un combat pour lequel il avait tant donné, l'action de sa famille ne put jamais venir à bout de la sombre omerta qui entoura sa fin.
Pourtant ce qui valut dans l'Ain pour DZIUBEK devrait valoir aussi pour sa mémoire : faute d'éléments à charge, seuls ses antécédents élogieux devraient être retenus…
Une action est-elle encore possible aujourd'hui pour que la nation reconnaisse qu'il est, lui aussi, Mort pour la France ?
Voir la partie DZIUBEK et SIMON dans l'Ain
IMPORTANT - Le 30 juin 2020, sur demande de la famille, l'ONACVG (Office national des anciens combattants et victimes de guerre) accordait la mention MORT POUR LA FRANCE à Robert Simon.
Une cérémonie valant réhabilitation était organisée par la commune de Blanzy, le 20 novembre 2021.
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Sources - Cet article est élaboré à partir de documents (archives de gendarmerie, du SHD-BAVCC de Caen, des AD-S&L, d'un livre sur les maquis de l'Ain et de témoignages des familles Bard et Simon). Contrairement à ce qu'on observe habituellement, les témoignages actuels sont décalés d'avec ceux des gendarmes d'alors, comme si l'enquête officielle s'était cantonnée à une certaine catégorie de témoins, ce qui conduit à penser que la vérité sur cette affaire reste à établir.
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