Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

6 juin 44 - Maquisards polonais sauvés par un gendarme patriote

GS – 2016-03-14

 

 

Sauvés par un gendarme patriote…

 

 

 

Un des premiers articles de ce blog relatait une escarmouche survenue le 5 juin 1944 (veille du Débarquement) entre un groupes de maquisards FTP polonais du maquis de Collonge-en-Charollais et deux gendarmes de la brigade de Palinges, relevant de la section de gendarmerie de Montceau-les-Mines – (revoir : Escarmouche au Baronnet ). Rappel des faits :  En vérifiant l’identité de deux jeunes Polonais venus ravitailler leur groupe dans une ferme (Szczepan Bartosiak et Czeslaw Karolewski), les deux gendarmes allaient être mis en fuite par le reste de la troupe, abandonnant leurs vélos chargés du barda règlementaire…

L'un des protagonistes de cette affaire, Szczepan Bartosiak, m’avait raconté l’histoire à Varsovie en 2012, riant encore de bon cœur du tour joué ce jour-là aux gendarmes.

 

Un dossier retrouvé récemment aux archives départementales de Saône-et-Loire révèle qu’en réalité les maquisards polonais avaient eu bien chaud et n’avaient échappé à la battue organisée le lendemain par la gendarmerie de S&L que grâce au sabotage de l’action par l’adjudant-chef Jules Loizon , alors commandant du corps-franc de la gendarmerie de S&L - zone nord.

 

Les deux documents reproduits ci-dessous expliquent l'affaire, d’abord  le PV du commissaire de police des renseignements généraux de Chalon-sur-Saône rédigé le soir du 6 juin, qui peste contre l’échec de la battue et incrimine l’incapacité professionnelle du chef des gendarmes, ensuite le témoignage détaillé de Jules Loizon sur ces évènements, tel que rédigé en 1950 à l’appui de sa demande de carte de Combattant volontaire de la Résistance. On y voit en filigrane d’abord l’articulation des services de répression de Vichy, mais surtout ce que fut l’attitude courageuse de nombre  de gendarmes durant l’Occupation… 

 

 

 

Rapport du commissaire spécial FONTENAS des RG de Chalon, adressé à l’Intendant régional  au maintien de l’ordre (6 juin 1944)

 

 

« J’ai l’honneur de vous rendre compte de ce qui suit :

Ce matin à 2h35, un message de M. le Commissaire Divisionnaire de la sécurité qui m’était transmis par M. le Commissaire de Montceau-les-Mines, me demandait de me mettre d’urgence en communication avec la Gendarmerie de Montceau-les-Mines (…)

L’adjudant-chef de Gendarmerie de Montceau-les-Mines me précisa au cours de la conversation téléphonique que j’eus avec lui aussitôt après la réception de ce message qu’il s’agissait d’une opération très précise du chef de brigade de Palinges.

Malgré l’absence du car pour lequel je n’avais pu encore obtenir de chambre à air, je me dirigeais sur Montceau-les-Mines à l’aide de la voiture et des motos affectées au corps-franc avec 15 gendarmes, 3 inspecteurs et moi-même et la totalité des armes.

A Montceau-les-Mines, je devais prendre 10 gendarmes avec l’adjudant-chef CHANGARNIER. A mon arrivée dans cette ville à 5 heures du matin, l’Adjudant-chef me confirma sa conversation téléphonique, précisant qu’un groupe de terroristes d’une quinzaine de membres environ, dont une partie de nationalité étrangère, campait dans un bois dit de « La Franchise » entre les châteaux du Limant et du Sauvement sur la commune de Ciry-le-Noble.

Ces terroristes étaient en particulier les auteurs de l’agression commise la veille contre le chef et un gendarme de la brigade de Palinges et du vol d’un camion de ravitaillement commis également la veille à Martigny.

Le chef de brigade de Palinges devait nous donner au passage toutes les précisions utiles. Or, quand je vis celui-ci, il ne put me dire que ses agresseurs de la veille s’étaient enfuis en direction des bois de la Franchise et du Baronnet, c’est-à-dire dans un ensemble d’environ 600 hectares.

L’impression d’une telle indication vouait d’avance nos recherches à l’insuccès.

Après avoir battu les bois sinon en totalité, du moins en partie, et visité le hameau du Baronnet où avait eu lieu l’agression, ainsi que plusieurs fermes abandonnées, j’ai donné l’ordre à 13 heures de cesser les recherches qui n’avaient donné aucun résultat.

Je crois indispensable de vous signaler par ailleurs qu’au cours de cette opération je n’ai pu que déplorer l’incapacité et l’inaptitude au commandement de l’Adjudant-chef LOIZON, chargé du commandement du peloton. Si par son mode de recrutement cette fonction a déjà tendance à manquer de cohésion, ce n’est pas un gradé comme l’Adjudant-chef LOIZON, dont je ne mets pas d’ailleurs la conscience professionnelle en doute, qui pourra lui donner l’esprit et le dynamisme nécessaires pour remplir sa mission.

Il est absolument nécessaire à mon avis, que le corps franc soit placé sous le commandement d’un jeune Officier et je vous serais reconnaissant de bien vouloir intervenir dans ce sens auprès du Colonel commandant la Légion à Dijon.

Ce n’est qu’à cette condition à mon avis que le travail que nous effectuerons en collaboration pourra devenir fructueux.

                                                               Le Commissaire spécial FONTENAS » 

 

 

 

Le récit de Jules Loizon, le 21 novembre 1950 (à cette date il est toujours adjudant-chef, mais commandant la brigade de Chalon-sur-Saône)

 

« Ci-joint le rapport du Commissaire spécial Fontenas qui en 1944 avait le commandement des forces pour la répression dans la lutte contre les maquisards appelés « terroristes ».

Le 10 mai 1944 j’ai été désigné pour prendre le commandement du corps franc de la gendarmerie créé en zone nord. Aussitôt une liaison a été opérée avec les responsables de la résistance de la région, tout d’abord du 10 au 25 mai par le gendarme Cornillot qui faisait partie de mon unité, lequel prévenait soit le gendarme Rouzier ou Rougelet de la brigade de Chalon-sur-Saône, qui connaissait ainsi tous les déplacements. Du 25 mai au 10 juin, date de ma relève, le gendarme Rougelet a remplacé le gendarme Cornillot, lequel a continué le travail de liaison.

Durant la période précitée mon unité n’a effectué aucune arrestation ni tiré un seul coup de feu, alors que les unités semblables des départements voisins, en employant les termes du commissaire spécial dans son rapport ci-joint, faisaient un travail fructueux.

A deux reprises mon unité a opéré, dans l’Autunois (Igornay) courant mai et enfin le 6 juin dans le Charollais (Ciry-le-Noble, Martigny-le-Comte). Par un hasard extraordinaire ces bourgades étaient placées dans deux circonscriptions où j’avais été tour à tour chef de brigade, 3 ans à Lucenay-l’Evêque et 9 ans à Palinges.

(… récit de l’expédition d’Igornay… )

Enfin le 6 juin 1944, quoique le départ de Chalon-sur-Saône ait eu lieu de très bonne heure, 3 heures environ, notre arrivée à Ciry-le-Noble après de nombreuses pannes mécaniques ne s’est produite que vers 8 heures. A notre arrivée dans cette localité, j’ai eu la chance de voir le garde forestier Petit, de Pouilloux, que j’avais connu pendant 9 ans, à qui j’ai fait part des buts de notre expédition. Sur ses indications, sachant que les maquisards étaient dans le bois  de « la Franchise » au Baronnet par Martigny-le-Comte, région que j’avais explorée pendant 9 ans, notre détachement s’est mis en route à notre arrivée sur les lieux. J’ai encore vu le garde particulier Girardon qui comme Petit connaissait mes sentiments. Malgré l’insistance de certains, j’ai réussi à faire avaler au Commissaire que d’après des renseignements dont la source ne pouvait être mise en doute, que les « terroristes » se trouvaient à l’opposé du bois de « la Franchise », dans des fermes abandonnées. Aussitôt déploiement en tirailleurs, fermes et petits bois avoisinants fouillés jusqu’à 13 heures, sans résultat. Si pourtant, le fameux rapport ci-joint, le Commissaire s’étant aperçu que je l’avais berné. J’ai donc été appelé à rendre des comptes verbalement au Colonel de gendarmerie Berthuet à son bureau à Dijon. Je n’ai pas eu de compliments, quoique pas de punition non plus, mais relevé le 10 juin par un jeune officier de gendarmerie de Montceau-les-Mines qui a suivi mon sillage. L’impulsion étant donnée sous la forme d’inertie, le corps franc a été dissout de lui-même en passant à l’ennemi si je puis m’exprimer ainsi le 16 août 1944 en rejoignant le maquis.

                Chalon-sur-Saône, le 21 novembre 1950

                Adjudant-chef Loizon, cdt la brigade. »

 

 

 

Après la Libération, l’adjudant-chef Jules, Marie, Ernest LOIZON, né en 1898, sera cité à l’ordre de la Légion :

 

« Au cours de la période d’occupation, a contribué de tous ses efforts à faire obstacle aux mesures anti-françaises. Pendant les combats pour la libération, s’est particulièrement distingué en attaquant avec sa Section une forte colonne motorisée allemande, en lui infligeant des pertes sévères. A ouvert personnellement le feu sur une voiture ennemie, tuant les quatre occupants.

A fait preuve de sang-froid et d’un esprit de décision remarquables ».

A Dijon, le 18 juillet 1945,

Pour le Colonel TANGUY, Commandant la 8ème Légion de Gendarmerie, indisponible,

Le Chef d’Escadron LAURENT, Commandant provisoirement la Légion.

 

 

 

Remarque :  Ne faites pas de fausse interprétation, le terme "légion" désigne alors l'échelon régional de la gendarmerie, placé sous le commandement d'un colonel. Au dessous, au niveau départemental se trouve la compagnie, puis la section et enfin la brigade, en théorie dans chaque canton...

 

Source : ADSL cote 2799W154, dossier trouvé et transcrit par Jérémy Beurier, merci à lui !

 

(Jérémy Beurier mène une recherche sur la résistance AS dans le bassin minier de Blanzy et l’Ouest de la S&L ; il anime un site fort intéressant  "le Grenadier bourguignon"… )

 

 

 

 

 

 

Photo 1.jpg

- Jeunes Polonais et Français au maquis de Collonge-en-Charollais -

 

Ce maquis FTPF proche de la côte chalonnaise comportait un groupe important de Polonais venus - par proximité géographique - des petites cités ouvrières des entreprises Schneider (Le Creusot, Montchanin, Saint-Laurent-d'Andenay), mais aussi des communes rurales où ils étaient nombreux à être employés comme commis de ferme, souvent dans l'attente de (re)prendre le travail à la mine... 

 

 

 

 



14/03/2016
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