Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Maurice PFLASTER, aux origines de l'implantation de la MOI...

GS, Paris juillet 2017 

 

 

 

Biographie de PFLASTER Moses Hersch (dit Maurice)

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Installation en France

 

Moses Hersch PFLASTER est né le 26 juin 1903 à Sieniawa (Podkarpackie), petite ville du sud-est de l’actuelle Pologne, située à une quarantaine de kilomètres à l’est de la capitale régionale Rzeszów. Il était le second des sept enfants d’Ester Hendel Pflaster.

En janvier 1926, il se joint à la vague d’émigration vers la France ; doté d’un titre de séjour à Strasbourg, il se dirige d’abord vers Bruay-en-Artois où il ne reste que quelques semaines. Le 25 mai 1926, il se fait enregistrer à Montceau-les-Mines. Sa constitution chétive ne lui permet guère d’exercer le métier de mineur et il devient très vite marchand ambulant, la venue massive de mineurs polonais depuis 1919 offrant une réelle opportunité commerciale à qui parle leur langue. Il se met ainsi au service d’un grossiste en bijoux fantaisie, le sieur SPEIGHEL qui le rémunère à la commission. La pauvreté des clients potentiels, l’obligation de leur faire crédit, le va-et-vient continuel des populations, les chapardages dans des quartiers souvent peu fiables, autant de pièges pour le vendeur ambulant qui se trouve bientôt en conflit avec son fournisseur. Un procès les oppose et le pauvre Pflaster se voit condamné à une peine symbolique au tribunal correctionnel de Chalon, le 30 mars 1929. Humilié et sans doute désespéré, Moses Pflaster repart alors en Pologne, avec l’idée de s’y marier. Il trouve rapidement une âme-sœur et épouse religieusement, probablement en 1930, Tauba, Laja PERL, née le 5 août 1905 dans la commune de Jezowe, proche de Sieniawa. Le projet du couple et de repartir pour la France, ce pays qui fait figure d’Eldorado, nimbé du prestige de sa grande Révolution et de la justice qu’il sait rendre à ses Juifs (l’affaire Dreyfus a marqué les esprits). Fin 1931, Moses repart donc vers la France, d’abord seul pour y préparer l’installation, avant-même  la venue au monde de  leur premier fils Feliks, qui allait naître en février 1932. Installé à nouveau à Montceau-les-Mines, il y fait rapidement venir femme et enfant et épouse civilement Tauba, le 10 novembre 1932.

 

 

 

Moses (Maurice) et Tauba Pflaster

 

 

Reprise des difficultés ? En tout cas Saint-Etienne les attire vite, et c’est là que le 15 novembre 1933 naît une fille, Anna Rachel, qu'on appellera Annie. La vente de bijoux n’y étant sans doute guère plus fructueuse que précédemment, la famille revient à Montceau où Moses francise son prénom en se faisant appeler désormais Maurice ; il se met aussi au commerce ambulant de tissus, plus facilement rentable, même si la concurrence est vive. D'abord logés rue Lamartine, derrière la gare, les Pflaster vont louer un grand logement de sept pièces au 52 de la rue Jean-Jaurès, toujours près du centre-ville. Un dernier petit garçon, Albert, leur naît le 27 août 1935. Les enfants fréquentent les écoles françaises, maternelles et primaires ; les quelques familles juives arrivées comme eux – qui habitent généralement les quartiers proches - se rencontrent volontiers pour la prière du vendredi soir et pour les fêtes.

 

La famille se sentait bien intégrée à Montceau, les enfants y vivant une jeunesse heureuse avec une foule de camarades français et des maîtres de l'école publique qui savaient généralement les intéresser. Annie et Félix avaient des activités extra-scolaires enrichissantes (danse, musique). Lors de la débâcle de juin 40 qui accompagna la défaite des armées françaises, ils partirent sur les routes en direction du sud, comme leurs voisins, avec une carriole attelée à un cheval. Ils arrivèrent ainsi jusqu'aux environs de Montélimar, puis décidèrent de revenir à Montceau d'où des nouvelles parvenaient, rassurantes, sur les premiers temps de l'occupation.

 

 

Lié au parti communiste clandestin ?

 

Ces Juifs arrivés de Pologne étaient fréquemment issus de la fraction la plus éclairée et progressiste de leur communauté. Ils avaient été influencés souvent par le Bund (abréviation de l’Union générale des travailleurs juifs de Lituanie, Pologne et Russie),  mouvement socialiste juif créé à la fin du XIXème siècle dans l’Empire russe, qui luttait pour l’émancipation des travailleurs juifs et pour leur droit à constituer une nation laïque ayant le Yiddish pour langue. Le Bund s’opposait autant aux organisations sionistes qui militaient pour un retour en Palestine, qu’au mouvement communiste. Dans la Pologne indépendante d’après 1918, où le Bund polonais cherchait une difficile voie de coexistence avec le PPS (Parti socialiste polonais), les Pflaster était plutôt attirés par le communisme ; c’est du moins ce qu’on peut déduire du comportement  des membres de la famille arrivés en France ; aussi bien Maurice à Montceau-les-Mines, que sa cousine Sonia installée à Paris (elle était née elle aussi à Sieniawa, le 18 août 1908), se retrouvèrent à agir avec les communistes français. Sonia était membre du parti avant la guerre et milita clandestinement après sa dissolution[1].

 

Quant à Maurice, le témoignage de son fils Félix atteste qu’il fut arrêté quelques jours par les policiers de Montceau à la fin de l’année 1941, en même temps que leur connaissance, Madame Gitla GLEITZER, juive elle-aussi[2]. Cela se situe au moment où les communistes de Montceau tentaient de se réorganiser et étaient intensément pourchassée, dans les mois qui suivirent l’attaque allemande contre l’Union soviétique. L’enfant – il avait alors neuf ans – fut amené quelques heures au commissariat, un soir vers 19 heures : il fut pressé de questions sur les activités de son père et sur la possible tenue en leur appartement de réunions où on aurait parlé du bolchevisme, de l’Union soviétique, cela avec des visiteurs parlant une langue étrangère. L’affaire en resta là et Maurice, tout comme Gitla Gleitzer, furent libérés.

 

 

Artisan de l'arrivée de la MOI polonaise

 

Pourtant Maurice Pflaster jouait alors un rôle important pour le mouvement communiste polonais à Montceau. C’est lui qui préparait l’arrivée dans le bassin minier de l’émissaire de Paris, chargé de construire une organisation clandestine de la MOI, après l’arrestation préventive des quelques militants polonais historiques rattachés au parti communistes français. Connaissant de nombreuses familles polonaises clientes de son négoce de tissus, il sut dénicher des personnes jusque-là insoupçonnables d'une quelconque activité politique, mais patriotes farouches dans leur cœur, prêts à soutenir le pays envahi en aidant ce nouveau mouvement de résistance qui avait besoin d'eux, au moins pour héberger momentanément des militants de passage. C’est principalement dans les quartiers de la Saule et de la Lande, ainsi qu’à la cité "Jules Chagot", qu’il prépara ainsi quelques « planques ». Par quelle liaison le colporteur juif Pflaster fut-il chargé de cette mission très confidentielle par la direction MOI parisienne ? Avait-il su conserver les contacts du petit noyau communiste polonais montcellien maintenant démantelé ? Ou bien le lien passa-t’il par sa cousine Sonia Pflaster qui vivait alors à Paris et militait déjà dans une structure clandestine ?

Toujours est-il que dans les premières semaines de 1942, le système fonctionnait et Boleslaw MASLANKIEWICZ - voir sa bio, membre du triangle national de direction de la MOI polonaise, avait été introduit par Maurice Pflaster auprès des familles chez qui il allait pouvoir loger. Il disposait d'une planque dédiée dans la maison des FRACKOWIAK à la Saule et de planques de secours aux alentours, dont il pouvait user à sa guise. Désormais responsables en visite ou résistants pourchassés du Nord / Pas-de-Calais trouvèrent régulièrement un toit et une table dans des familles polonaises du bassin minier.

 

 

 

 

 

 

En zone libre

 

Maurice Pflaster sentit vite l’étau policier se resserrer autour de lui ; la garde à vue passagère au commissariat de police fin 1941 avait constitué une alerte sérieuse et il décida – semble-t-il en février 1942 - de passer en zone libre, afin d'y préparer le repli de sa famille.  Il déposa son stock de tissus, contenu dans trois grandes malles, ainsi qu'une partie de ses économies, chez son contact le plus fiable, Józef OLEJNICZAK de la Lande, dont l'épouse et la fille allaient occasionnellement seconder Tauba Pflaster, restée seule avec ses trois enfants. Józef Olejniczak assurait également la liaison avec celui qui avait accepté d'héberger Pflaster en zone libre, un autre Polonais patriote nommé Jan KOPCIUCH, mineur comme lui au puits Plichon ; lorsqu'il habitait encore dans les baraques de la cité "Jules Chagot", celui-ci avait noué une relation de confiance avec le colporteur Pflaster qui y passait régulièrement. Il vivait maintenant dans une locaterie (une fermette) qu'il exploitait avec sa femme, en sus de son travail à la mine. Elle était située en zone libre, au lieu-dit la "Grande Rue", au pied de la colline du Mont-Saint-Vincent, à quelques kilomètres de la ligne de démarcation et de Montceau. Avec l'aide de Kopciuch, qui passait quotidiennement la ligne de démarcation au poste du Plain-Joli pour aller et revenir du travail et avait établi de ce fait une bonne relation avec les  douaniers, Maurice Pflaster put rester en contact avec sa famille – il la visita même à une ou deux reprises – et avec Olejniczak qui lui faisait parvenir de l'argent à la demande.

 

Cette situation perdura jusqu'à l'été 1942, les Pflaster vivant principalement sur leurs économies et sur quelques ventes de tissus que pouvait encore faire Maurice parmi les paysans aux alentours du Mont-Saint-Vincent, cela avec la plus grande prudence car sa présence à la ferme de la "Grande Rue" devait rester secrète. Cela ne l'empêchait pas d'en sortir parfois comme le révèle un PV de la brigade de gendarmerie de Joncy, en date du 5 mars 1942 ; il fut contrôlé ce jour-là par une patrouille routière alors qu'il se déplaçait à vélo dans le canton. Il déclara résider toujours à Montceau et se vit reprocher des défauts de sauf-conduit et de visa sur sa carte d'identité, probablement sans autre effet qu'une admonestation[3].

Si lui-même était désormais relativement à l'abri des policiers qui faisaient la chasse aux communistes du bassin minier, c'est la qualité de Juifs qui allait maintenant bouleverser le destin familial.

 

 

La rafle de juillet 1942

 

1942 est l'année des rafles qui vont décimer l'importante communauté juive montcellienne.

 

La première de ces rafles, le 13 juillet 1942, visait exclusivement les Juifs étrangers, âgés de 16 à 45 ans. Les policiers français se présentèrent au domicile de la rue Jean Jaurès alors que les enfants venaient de partir pour l'école ; ils mirent en état d'arrestation Tauba Pflaster, l'invitant à faire sa valise. La même chose se produisait dans toutes les familles et bientôt la nouvelle circula dans les classes : la police arrête nos parents ! Les instituteurs laissèrent les enfants juifs repartir à la maison pour faire leurs adieux. Madame Pflaster profita de ce court répit pour coudre quelques pièces d'argent dans l'ourlet de chacun des enfants.

Regroupés dans le gymnase des pompiers, attenant alors au commissariat de police, les arrêtés (ils étaient 34) partiront le lendemain dans des wagons à bestiaux en direction du camp de Pithiviers, escortés par six policiers français. Les évènements avaient attiré beaucoup de Montcelliens au voisinage de la gare, les connaissances des familles venues parfois pour les assister comme il était possible, en particulier en s'occupant momentanément des enfants (ainsi vint Mme Olejniczak), d'autres pour tenter de chaparder dans les logements abandonnés. Le séjour au camp de Pithiviers fut bref ; le 17 juillet, le "convoi 6", auquel les Juifs provenant de Saône-et-Loire avaient été intégrés, s'ébranlait pour Auschwitz. Un document allemand indique que Tauba Pflaster y mourut le 18 septembre 1942.

 

 

 

Sauvetage des enfants, résistance juive à Lyon... 

 

Le père caché en zone libre, la mère maintenant déportée, les trois enfants Pflaster se retrouvent seuls dans la grande maison ; dès le lendemain, des amis bien intentionnés les livrent aux autorités. Regroupés avec huit autres enfants qui sont dans la même situation, ils sont conduits en train à Paris par deux assistantes sociales municipales. Ils y sont remis à l'UGIF[4], qui les place dans son foyer de la rue Lamarck. Tantôt ensemble, tantôt séparés, ils passeront de refuges en orphelinats (dont l'orphelinat Rothschild, dans le 12ème arrondissement) et en familles d'accueil, d'abord en région parisienne puis en province…  En permanence le père leur paraît proche, car il leur envoie à plusieurs occasions des personnes de connaissance. Finalement durant l'été 1943, un dernier émissaire les amène près de lui à Nice, encore occupée par les Italiens. L'entrée des Allemands, début septembre 1943, les oblige à fuir la ville et Maurice Pflaster a l'idée de se rendre à Chambéry, d'où il espère pouvoir gagner la Suisse.

Notons qu'en cette année 1943 les déplacements de Maurice Pflaster à travers la France occupée, pour veiller dans l'ombre au sort de ses enfants, lui faisaient courir les plus grands risques : On découvre aujourd'hui qu'il faisait l'objet d'un avis de recherche sur l'ensemble du territoire, établi le 11 janvier 1943 par le service régional de police de sûreté de Dijon. Il y était peint comme "terroriste, ayant quitté Montceau-les-Mines le 4 mars 1942 à destination de la zone non occupée"[5]. C'est début 1943 seulement que la police avait acquis la conviction de son engagement, en tirant l'information de Polonais trop bavards du quartier de la Saule. Partout désormais, son identification lui aurait été fatale...

Le père et les enfants atteignent sans encombre Chambéry mais l'affaire rate car Maurice ne trouve pas de passeur pour la Suisse ; la famille doit se séparer. Les enfants seront accueillis finalement dans un lieu sûr à une trentaine de kilomètres de la ville, un grand établissement touristique de la commune de Lucey, à la limite des départements de la Savoie et de l'Ain, où ils pourront attendre la Libération. Le père se dirige sur Lyon où il est en contact avec la résistance juive ; il participera aux combats de la Libération dans un groupe de combat de l'UJRE (Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide), sous les pseudos de "Siarca" et "capitaine François".

 

 

 

 

 

Epilogue

 

L'après-guerre ne fut pas tendre pour Maurice Pflaster. Il dut rester longtemps à vivre chichement à Lyon avant de pouvoir regrouper ses enfants ; le retour à Montceau-les-Mines se révéla plein de difficultés : impossibilité de récupérer le logement de la rue Jean-Jaurès qui avait été reloué à une autre famille nombreuse, difficultés du commerce par colportage qui n'était plus dans l'air du temps (il avait cependant eu la joie de retrouver son ancien stock de tissu conservé par les fidèles Olejniczak). Bien pis, il dut subir des tracasseries policières, mêlées d'un stupéfiant antisémitisme qui stagnait dans la cité (voir ci-dessous billets du journal le Petit Montcellien des 23 et 25 juillet 1946 où Maurice Pflaster est impliqué).

En 1948, Maurice Pflaster se remaria à Lyon avec une Juive rescapée des camps, Fanny SZMULEWICZ et eut avec elle une petite fille, Estelle, née à Montceau en 1950. La famille quitta définitivement la Saône-et-Loire en 1960 et partit s'installer à Metz. Maurice termina sa vie à l'hôpital de Strasbourg, le 27 septembre 1975.

 

 

 

 

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Sources

Archives départementales de Côte-d'Or et Saône-et-Loire, SHD (archives de la gendarmerie + dossiers personnels de Tauba Pflaster et de Sonia Pflaster-Bianchi).

Roger Marchandeau et Georges Legras, La tragédie des Juifs montcelliens, in la Physiophile, numéro hors-série, Montceau, 2010.

Témoignage de Anna Pflaster-Mommeja dans le livre de Monique Novodorsqui-Deniau, Pithiviers-Auschwitz, le 17 juillet 1942, 6 heures 15, éd. CERCIL, Orléans, 2006

Entretiens avec Félix, Albert et Estelle Pflaster, Wanda Olejniczak, Stanislas et Jan Kopciuch, à qui on doit les principaux documents photographiques.

 

 

 

[1]  Elle fut arrêtée par la police française le 17 février 1942 et passa le reste de la guerre dans des prisons françaises ; voir son dossier SHD 16P473765.

[2]  Née Gitla ARONOWICZ, elle était mariée à Abraham Gleitzer qui portait la nationalité soviétique.

[3]  SHD gendarmerie 71E510 - Nul doute que c'est la connaissance de ce PV qui amènera ultérieurement la police de sûreté de Dijon à dater son passage en zone libre du 4 mars 1942…

[4]   L’UGIF et ses centres d’enfants - Entre légalisme et clandestinité (site https://yadvashem-france.org )

L’Union Générale des Israélites de France est créée en novembre 1941 par le gouvernement de Vichy à la demande des Allemands.  Elle assure la représentation des Juifs et est chargée de l’action sociale ; elle verse des allocations aux foyers privés de revenus, finance les cantines populaires et les hospices. 

Après les rafles de l’été 1942, elle ouvre des centres pour enfants à Paris et en banlieue (foyers de la rue Lamarck, de la rue Vauquelin, de l’ORT, rue des rosiers, et à Louveciennes, La Varenne, Montreuil, Neuilly, Saint-Mandé).

Ces centres regroupent :

  • Des enfants dits » libres », placés par leurs parents, ou « abandonnés » pour diverses raisons.
  • Des enfants dits « bloqués » ou isolés, qui avaient été internés puis libérés des camps par les allemands et placés sous la responsabilité de l’UGIF.  Ces enfants étrangers ou nés de parents étrangers sont fichés et « déportables » à tout moment.

Ces maisons sont sous le contrôle du Commissariat Général aux Questions Juives et de la Gestapo.

Des organisations juives et non-juives ont pu soustraire de ces maisons un certain nombre d’enfants et les mettre en lieu sûr.

[5]  ADCO, 1025W12

 



23/07/2017
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