Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

19 juillet 44 - sabotage à la Machine (Nièvre)

1er novembre 2016

 

 

 

Sabotage du puits des Minimes à La Machine, dans la nuit du 19 au 20 juillet 1944

 

 

Cet article est extrait du livre Maquisards russes en Bourgogne, histoire du détachement Leningrad 1943-1944éditions de l'Armançon ).

 

 

 

 

 

 LMPH 1100 - Puits des Minimes (CP) - Copie.jpg

 

 L’affaire se passe durant l’été 1944, alors que la MOI a regroupé les maquisards soviétiques du détachement Léningrad avec le maquis polonais Mickiewicz des mineurs de Montceau, lui-même intégré dans le grand maquis FTPF Valmy de S&L.

 

A la mi-juillet, alors que l’effectif polonais s’accroît régulièrement de jeunes montés des cités, le détachement soviétique constitue maintenant une unité à part. Elle est formée de combattants confirmés, soldats de l’Armée rouge faits prisonniers sur le front de l’Est et échappés pour la plupart des camps de travail allemands.

 

Leur détachement joue le rôle d’unité de choc du maquis ; ils sont projeté pour des opérations lointaines et risquées, alors que le reste du maquis demeure sur les pentes sud du massif dUchon qu’il est chargé de contrôler. Ils sont en général accompagnés de quelques Polonais, choisis parmi les plus expérimentés ou les plus combattifs, dont Théodore Plonka « le Type », qui combat avec eux depuis mars 1944 et qui vient d’être promu capitaine, commandant en second du maquis Mickiewicz.

 

_______________________

 

 

L’exploitation de La Machine appartenait depuis 1869 à l'empire Schneider et sa production alimentait partiellement les usines du Creusot. Une forte immigration polonaise y était employée depuis 1920. Elle vivait regroupée dans le quartier des Minimes construit à son intention ; elle n'en restait pas moins une petite colonie, isolée dans la Nièvre et elle avait assez naturellement développé d'étroites relations avec les colonies polonaises du Creusot et surtout de Montceau qui formait un pôle d'attraction pour les populations polonaises d'un vaste périmètre géographique. C'est un curé polonais du Creusot qui venait périodiquement célébrer la messe ; surtout le dense réseau associatif des Minimes, fait de groupes religieux, sportifs, artistiques, de mouvements patriotiques ou de jeunesse, rythmait son calendrier de fréquentes rencontres avec leurs équivalents de Montceau, de Montchanin et du Creusot[1]. Il n'y a guère de doute que des Polonais engagés dans le maquis MOI de Saône-et-Loire avaient des connaissances à La Machine, qui purent les assister dans la préparation de cette action.

 

(Les jours précédents les grands puits du bassin de Blanzy avaient subi une série de sabotages de même nature, conduisant à penser que l’action lancée contre la mine de La Machine s’inscrivait dans une entreprise coordonnée du commandement FTPF, visant la production charbonnière de la région).

 

(…) dans la nuit du 19 au 20 juillet, c’est le puits principal de La Machine qui allait subir le même type de sabotage. Il est clair maintenant que l’initiative fut celle du commandement du maquis Valmy, et qu’il en avait certainement reçu la consigne par le niveau départemental de l’organisation FTPF, la coordination avec l’AS au sein des FFI n’étant que toute théorique dans le département.

 

En tout cas c’est le détachement russe qui fut chargé de l’exécution…

 

« Le Type » prit la tête de l’expédition, composant le commando autour des Russes issus de son groupe mobile, qui connaissaient déjà la contrée. Aux dires du rapport de gendarmerie, ils furent une dizaine à pénétrer sur le carreau du puits ; ils étaient certainement autant à assurer le guet et la protection à l'extérieur. Une vingtaine d’hommes avait donc dû quitter les abords d’Uchon à bord de deux véhicules, dans la nuit du 17 au 18 juillet 1944. Ils se dirigèrent vers La Machine, à soixante-quinze kilomètres environ, en empruntant le plus souvent des routes vicinales, suivant un itinéraire tortueux qui passait aux abords de Luzy (Nièvre).

 

… En passant par Luzy

 

Un premier sabotage fut réalisé à la sortie de cette ville ; il fait l'objet de rapports concordants, du maquis polonais et de la gendarmerie : « 18 juillet, Théodore signale : « Nous avons fait sauter le pont de Luzy à deux heures du matin, empêchant la circulation pour deux jours ».

Le rapport de la section de gendarmerie de Château-Chinon,  daté du même jour, rapporte l'attentat : « Le 18 juillet 1944, à 1 heure 45, une explosion a endommagé le pont de chemin de fer de la ligne Nevers-Chagny, situé à la sortie nord-ouest de Luzy. Dégâts matériels assez importants. Pas d'accident de personne. Circulation rétablie au cours de la journée du 18 juillet. »

 

Comme ils en avaient l'habitude, les maquisards passèrent la journée du 18 juillet dans une cachette, un bois ou une ferme providentielle (nous verrons plus loin un témoignage qui illustre cette pratique). Venant juste de quitter leur cantonnement où ils avaient pu se restaurer, il y a bien des chances qu'ils aient alors jugé inutile de se faire héberger par des paysans et qu'ils aient simplement passé la journée dans la nature.

 

Ils en repartirent la nuit suivante, pour atteindre enfin La Machine. Le puits des Minimes se trouvait à l'orée d'un bois, à l'entrée sud de la ville, le long de la route venant de Decize.

Le rapport de la brigade de gendarmerie locale[2], rédigé le jour-même par l'adjudant Hippolyte Jolivet, donne une description saisissante de l'opération ; citons pour commencer la déclaration de Daniel Charroux, directeur des houillères :

 

« Le 20 juillet 1944, vers 1h15, une bande de 8 à 10 individus fortement armés s'est présentée sur le carreau du puits des Minimes après avoir ouvert la porte d'entrée du carreau qui était fermée à clé. Trois se sont dirigés vers la recette et trois vers la machine d'extraction. Sur le carreau se trouvait le premier receveur Chevrier avec deux aides, Lebas et Bergeron, un lampiste Maublanc, le machiniste d'extraction Lavalette à sa machine et un chauffeur de chaudière Croizet. Les trois premiers individus sont allés chercher les trois hommes de la recette et les ont faits descendre dans le réfectoire, à l'entrée du carreau. Les trois autres demandèrent au machiniste la clé de la salle des compresseurs et prenaient toutes les clés accrochées au mur de la salle de la machine, y compris celles des poudrières […]. Machiniste, chauffeur et lampiste étaient à leur tour emmenés au réfectoire avec les receveurs, avec interdiction de sortir du local. Nos ouvriers entendirent qu'on donnait des coups de masse ou de marteau et, peu après, une première explosion, probablement à la machine d'extraction, suivie trois ou quatre minutes plus tard d'une deuxième, probablement salle des compresseurs. Ils attendirent quelques instants après cette deuxième explosion et enfin se décidèrent à sortir du réfectoire. A ce moment, les gardes de nuit arrivèrent et leur ouvrirent la porte du carreau. Le téléphone du puits ayant été brisé, deux gardes sont venus alerter les bureaux. Le feu avait commencé à se déclarer dans la salle des trois compresseurs de 250 chevaux, au plafond et dans les sous-sols. La pompe à incendie de la mine a eu rapidement raison du feu, mais la toiture, à moitié tombée, est à refaire. L'eau a dû d'autre part endommager les moteurs des deux compresseurs.

Des pétards ont été placés sous les excitatrices, et celle du troisième compresseur a été volatilisée sous l'explosion. Le deuxième compresseur paraît intact, mais le moteur, qui a reçu beaucoup d'eau, peut être endommagé. Quant au premier compresseur, il a pu être mis en route dans la matinée, mais tous les graisseurs sont brisés. Le transformateur et l'appareillage électrique paraissent intacts, mais tous les appareils de mesure du tableau ont été brisés à coups de marteau, soit 15 ampèremètres, deux voltmètres, 7 compteurs et 10 relais.

A la machine d'extraction, la charge d'explosif a été placée à l'extrémité gauche de l'arbre de changement de marche. Le palier qui supportait cet arbre a été pulvérisé ainsi que le levier calé en bout d'arbre qui commande les 4 biellettes de changement de marche. L'enregistreur de cordée et les tuyaux de graissage ont été brisés à coups de marteau. Tous les graisseurs de la machine sans exception ont été cassés par l'explosion ou au marteau, les tôles du plancher de la salle ont été plus ou moins soulevées ou déformées, toutes les vitres sont brisées […].

Le puits des Minimes, où travaillait un effectif de 448 hommes, fournissait un tonnage journalier de 325 tonnes de charbon. Il sera donc arrêté jusqu'à une date qu'il n'est pas encore possible de prévoir en ce moment. Un quartier de ce puits pourra être exploité par le puits des Glénons mais il en résultera cependant une perte journalière d'extraction de 275 tonnes. Une centaine d'ouvriers du puits des Minimes pourront être employés au puits des Glénons et le reste du personnel disponible sera offert à la défense passive pour le déblaiement de la ville de Nevers.

J'ajoute que dans la matinée on a découvert sur les compresseurs n° 1 et 2 deux engins qui n'ont pas explosé, nous vous les remettons ainsi qu'un pistolet automatique 7,65 trouvé dans la cour de la salle des compresseurs.

Lecture faite, persiste et signe : Charroux »

 

La description correspond de très près au compte-rendu du maquis, qui déclare avoir fait sauter deux compresseurs, une machine à vapeur et toutes les installations électriques ; des détails relevés par le receveur Charles Chevrier vont nous apporter la certitude que les saboteurs étaient bien nos hommes de la MOI :

 

« Je me trouvais sur le carreau du puits avec quelques autres ouvriers lorsque deux individus armés de mitraillettes se sont présentés à moi et m'ont demandé en mauvais français "combien nous étions d'ouvriers". Je leur ai répondu à tout hasard, une vingtaine. Sous la menace de leurs armes, ils nous ont fait comprendre de les suivre immédiatement et nous avons dû nous exécuter. Ils nous ont alors conduits dans le réfectoire avec mes camarades […]. Là, l'un d'entre eux nous a gardés  en restant devant la porte, l'arme à la main. Ils nous ont dit de ne pas bouger, que les Allemands viendraient nous délivrer plus tard. Puis, à demi-mots, ils nous ont fait comprendre que leurs camarades qui opéraient dans les machines étaient des Russes, car il a répété à plusieurs reprises le mot « Russe, Russe ». […] je ne puis vous donner aucun signalement précis de ces individus qui m'ont paru âgés de 20 à 25 ans environ. A mon avis et en raison du langage qu'ils parlaient, ce sont des étrangers et non des Français. »

 

Les archives du SHD nous indiquent qu'au lendemain de cette affaire, le 21 juillet 1944, le commandant de la compagnie de gendarmerie de la Nièvre allait expédier en protection aux mines de La Machine la section "F" de la gendarmerie de Franche-Comté[3].

 

Ce sabotage avait donc été très efficace, comparativement plus que ceux de Montceau ; on en a la preuve dans les documents retrouvés aux archives de la mine. En date du 6 juillet 1948, un rapport récapitulatif sur les sabotages de la période de l’Occupation, signé par l’ingénieur Adolphe Gueneau et le chef comptable Maurice Coppin, se termine ainsi : « Ce sabotage exécuté par une formation de la Résistance de dix hommes entraîna l’arrêt du puits des Minimes jusqu’à fin août 1944 ». Les statistiques de production de l’année 1944 révèlent que 20565 tonnes de charbon avaient été extraites au mois de juin mais seulement 14869 en juillet et  10674 en août[4]. Le but visé était atteint, resterait à savoir à qui l’affaire porta vraiment préjudice.

 

Notons qu’aucun historien de la Résistance dans la Nièvre ne rend compte de ce sabotage effectué par des Russes et des Polonais venus de Saône-et-Loire

 

 

 

 

 

 

 

 



[1]  Autre conséquence de ce rayonnement de Montceau, l'autre mouvement polonais de résistance, la POWN, rattachée au gouvernement de Londres, avait désigné dès 1942 un chef régional pour la Saône-et-Loire et la Nièvre. Jan Kulpinski résidait à Montceau et disposait d'une section POWN à La Machine.

[2]  Procès-verbal n°276/44 de la brigade de gendarmerie de La Machine, 20 juillet 1944 in AD58 1067W9.

[3]  SHD archives de la gendarmerie 58 E07.

[4]  Archives de la mine de La Machine, 26J13652. Il faut aussi tenir compte de l’arrêt de travail des mineurs au moment de la Libération, qui vint s’ajouter aux défaillances techniques.



31/10/2016
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