Les mineurs arrêtés en décembre 1941
... un fort contingent polonais
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La grève de décembre 1941
Nous avons déjà évoqué la première grève de l'époque de l'Occupation, celle de décembre 1941 (cf article "Jeunes grévistes de 1941"). Annoncé par un court débrayage au puits des Alouettes le 29 novembre, en raison de retards dans l'approvisionnement en savon, le mouvement repartira en décembre pour protester plus largement contre les déficiences du ravitaillement. Il prendra la forme de refus collectifs de descendre au fond, ou de refus d'abattre le charbon sur les chantiers ; il touchera d'abord les puits de Plichon, des Alouettes et du Bois-du-Verne (12 au 15 décembre), puis ceux de Darcy-1 principalement et plus légèrement Darcy-2 (16 et 17 décembre).
Nous ne détaillerons pas le déroulement complet de cette grève, bien décrite dans l'article de Roger Marchandeau (in la Physiophile, n°137, décembre 2002), déjà publié à la page "Jeunes grévistes de 1941" et répété ci-dessous.
Nous avons seulement cherché à identifier les grévistes emprisonnés par la police française lors de ces évènements afin de juger de la participation des Polonais. Ces mineurs avaient en général été arrêtés parce qu'ils avaient été repérés comme particulièrement actifs au déclenchement des mouvements (c'est-à-dire lors du refus collectif d'entrer dans la cage de descente à la prise du poste), ou comme estafettes faisant passer l'information entre les puits.
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La combinaison du dossier sur la grève de 1941, conservé aux archives départementales de Saône-et-Loire sous la cote 3060W219, et des registres d'écrou de la prison de Chalon-sur-Saône (1328 W 21) permet sans difficulté d'identifier les mineurs arrêtés, en trois vagues.
Les conditions des arrestations
Le rapport du commissaire de police au sous-préfet, en date du 16 décembre, explique le dispositif policier mis en place le 15 décembre, qui va conduire aux huit premières arrestations...
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(...) une force de 30 gendarmes, sous les ordres de M. le Capitaine HELLIO, Commandant la section de Montceau-les-Mines, était requise. A 13heures 45 le dispositif suivant était adopté : 1 chef et 9 gendarmes à Plichon, 1 chef et 9 gendarmes au Bois-du-Verne, 1 adjudant et 9 gendarmes en réserve aux Equipages. Par ailleurs, 2 Inspecteurs de Police à chacun des puits Plichon et Bois-du-Verne, 2 aux Alouettes et Saint-Louis, M. le Commissaire Principal de Police spéciale BEAU au Bois-du-Verne, M. le Commissaire de Police DIVES à Plichon, M. le Sous-Préfet de Chalon-sur-Saône est présent sur les lieux. A la remonte du poste du matin, 6 ouvriers qui au cours de la matinée s'étaient fait remarquer comme messager du mot d'ordre sont appréhendés à Plichon et 2 autres au puits du Bois-du-Verne. Poste du soir - Alouettes : descente normale, Plichon : descente normale, Bois-du-Verne : descente normale (la descente intervient à 14h30). Peu après, nous apprenons que les mineurs de Plichon refusaient au fond de prendre le travail. M. le Sous-Préfet, M.M. les ingénieurs et moi-même descendions à la Mine pour connaître les motifs de leur refus. Après que M. le Sous-Préfet eut exhorté les ouvriers au calme et à la confiance et s'eut enquis auprès d'une délégation de leurs revendications, le travail a été repris dans ce puits vers 16h30. Un autre incident du même genre était signalé réglé au Bois-du-Verne. (Suit la liste des arrêtés) - tous ces ouvriers ont vu leur arrestation maintenue administrativement par ordre de M. le Sous-Préfet et ont été conduits à Chalon-sur-Saône sur le champ pour être incarcérés à la maison d'arrêt. A aucun moment l'ordre n'a été troublé par des cris ou manifestations intempestives (...) |
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Les deux jours suivants, l'action se déporte vers Darcy, et c'est là que seront opérées les arrestations suivantes, la première série (Liste 2, qui compte 17 mineurs et non 18) parmi les mineurs du poste du soir, ayant refusé de descendre à la prise du travail, le mardi 16 décembre, à 14h30. La troisième et dernière série (10 mineurs), va frapper ceux du poste du matin, qui refusent de descendre à Darcy I et II, le 17 décembre à 5h30.
Les interrogatoires menés par le commissaire de police de Montceau, Marcel DIVES, donnent une idée de l'ambiance qui régnait à ces instants à Darcy :
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… Mandons le sieur ADAMSKI Antoine, âgé de 53 ans, demeurant aux Gautherets n°21/2 à St-Vallier. Lecture faite persiste et signe.
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Continuant notre enquête, faisons comparaître devant nous le nommé ADAMSKI Léon, 18 ans (…) Je travaille à Darcy I ; je n'ai pas travaillé, j'aurais bien voulu le faire, mais voyant que les autres ne descendaient pas, je ne suis pas allé au travail. Etant aux douches et alors que je me déshabillais, j'ai entendu crier très fort "du pain" et "on ne travaille pas". J'ai entendu mais je n'ai pas vu qui a crié. J'ai suivi le mot d'ordre. M. OLIVIER m'a demandé de descendre, je lui ai répondu "donnez-nous du pain", mais voyant que personne ne descendait, j'ai fait comme les autres. Je n'ai causé à personne. Lecture faite persiste et signe. |
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Continuant notre enquête, nous procédons à l'audition du nommé TRZECIAK qui sur interpellation déclare : Je me nomme TRZECIAK François, âgé de 45 ans, mineur au puits Darcy I, domicilié à Montceau-les-Mines, 3 rue du Puits. Aujourd'hui 17 décembre 1941, je suis arrivé sur le puits à 5h15 pour descendre au fond à 5h30. |
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Continuant notre enquête, mandons le sieur KOKOT Mieczyslas, âgé de 18 ans, demeurant aux Gautherets n°164/1 à Sanvignes. Je suis mineur à Darcy I, poste du soir. J'ai Fait la grève, j'ai crié "Il faut du pain, des matières grasses !" J'ai fait comme les copains. Personne ne m'a dit de ne pas travailler. Lecture faite, persiste et signe |
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Beaucoup de camarades de travail m'avaient précédé et se tenaient dans le local des douches pour attendre l'heure du commencement du travail. J'ai moi-même changé de tenue et me suis assis à côté d'eux. Personne ne tenait de discussion, et quand l'heure fut venue de descendre, aucun n'a bougé. De mon côté j'ai suivi le mouvement et je me suis abstenu de me présenter à la cage. Vers 7h00, la plupart de mes camarades sont retournés chez eux, malgré les exhortations de Monsieur l'Ingénieur qui demandait à reprendre le travail. Comme eux je suis retourné à la maison où je suis arrivé vers 7h15. Lecture faite, persiste et signe. |
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Les arrêtés
Couleurs : colonne 1 en bleu clair = transférés à la prison de Chalon
Noms surlignés en orange = les Polonais
arrestation |
identité |
naissance |
puits |
domicile |
libération |
LISTE 1 15 décembre |
CIESLAK Felix |
27 mai 24 |
Plichon (matin) |
Montceau la Saule |
20 décembre |
" |
CLEMENT Claudius |
22 oct.1908 |
Plichon (matin) |
St-Vallier |
20 décembre |
" |
LAVAUX Camille |
19 mars 22 |
Plichon (matin) |
Gourdon |
|
" |
MADEJ Joseph |
17 juil.23 |
Plichon (matin) |
Montceau cité Jules Chagot |
20 décembre |
" |
MAZILLE Hippolyte |
1921 |
Plichon (matin) |
|
20 décembre |
" |
SMEKTALA Joseph |
2 mars 20 |
Plichon (matin) |
Montceau la Saule |
20 décembre |
" |
DE SANTI Joseph |
18 avril 23 |
Bois-du-Verne (matin) |
Montceau, Bois-du-Verne |
20 décembre |
" |
MINOT René |
25 janv.20 |
Bois-du-Verne (matin) |
Montceau, Bois-du-Verne |
20 décembre |
LISTE 2 16 décembre (début am) |
ADAMSKI Antoine |
24 déc.1888 |
Darcy-I (soir) |
St-Vallier, Gandards |
20 décembre |
" |
ADAMSKI Léon
|
11 avril 23 |
Darcy-I (soir) |
Sanvignes, Bois-du-Leu |
20 décembre |
" |
ALABRUDZINSKI Jean |
22 juin 1905
|
Darcy-I (soir) |
St-Vallier Gautherets |
20 décembre |
" |
BILINSKI Casimir |
22 fév.1903
|
Darcy-I (soir) |
St-Vallier Gautherets |
20 décembre |
" |
BOJARCZUK Michel
|
2 oct.20 |
Darcy-I (soir) |
Sanvignes Georgets |
20 décembre |
" |
CONTASSOT Louis |
8 mars 09 |
Darcy-I (soir) |
Montceau, le Magny |
20 décembre |
" |
DESBROSSES Jules |
17 fév.20
|
Darcy-I (soir) |
Montceau La Saule |
20 décembre |
" |
DZIKI Karol |
4 juil.1904 |
Darcy-I (soir) |
Montceau, Darcy |
20 décembre |
" |
GAUTHIER Roger
|
23 juin 18
|
Darcy-I (soir) |
St-Vallier |
20 écembre |
" |
KOKOT Mieczyslaw |
12 oct.23 |
Darcy-I (soir) |
Sanvignes, Gautherets |
20 décembre |
" |
KONCZAK Ignace |
Juil.1907
|
Darcy-I (soir) |
St-Vallier, Gautherets
|
30 janv.42 |
" |
KWASNY Ignace |
25 août 1906
|
Darcy-I (soir) |
Sanvignes, Georgets
|
20 décembre |
" |
LAGOUTTE Louis |
15 janv.20
|
Darcy-I (soir) |
Montceau
|
30 janv.42 |
" |
LAGRUE Henri |
18 sept.23
|
Darcy-I (soir) |
St-Vallier |
30 janv.42 |
" |
LAVIGNE Charles |
24 nov.21 |
Darcy-I (soir) |
Sanvignes |
20 décembre |
" |
MACHILLOT Julien |
6 juin 1912
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Darcy-I (soir) |
Pouilloux |
20 décembre |
" |
OLCZAK Stefan |
1903 |
Darcy-I (soir) |
Montceau, Magny |
20 décembre |
17 décembre |
BRETIN Eugène (*) |
27 mai 20 |
Plichon |
Montceau centre |
20 décembre |
Liste 3 17 décembre |
BADET Claude Henri |
15 sept.1903
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Darcy (matin) |
Sanvignes, Magny |
20 décembre |
" |
KEDZIORA Joseph |
17 mai 1902
|
Darcy (matin) |
St-Vallier, Gautherets |
20 décembre |
Des 10 mineurs de la liste 3, arrêtés à Darcy le matin du 17 décembre, 2 seront transférés à la prison de Chalon. Les 8 autres - ci-dessous - seront interrogés au commissariat de Montceau et relâchés dans la soirée ou le lendemain matin.
(*) BRETIN : Convoqué pour interrogatoire le 17 sur sa participations aux actions du 15 à Plichon, il sera arrêté alors et conduit à Chalon.
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Liste 3 - suite 17 décembre
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BONNIN André |
25 avril 14
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Darcy (matin) |
Sanvignes, Vieux Buisson |
17/18 décembre |
" |
MONNOT Gaston |
30 avril 1916
|
Darcy (matin) |
Montceau, Champ-du-Moulin
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17/18 décembre |
" |
PALIS Jean |
31 mars 1901
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Darcy (matin) |
Montceau, Magny
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17/18 décembre |
" |
SZCZYRK Jozef |
27 fév.1916
|
Darcy (matin) |
Sanvignes, Georgets |
17/18 décembre |
" |
TOMASZEWSKI Grzegorz |
7 oct.1905
|
Darcy (matin) |
St-Vallier, Gautherets |
17/18 décembre |
" |
TRZECIAK François |
20 oct.1896
|
Darcy (matin) |
Montceau, Magny |
17/18 décembre |
" |
VERNET Jean-Marie |
21 nov.1898 |
Darcy (matin) |
|
17/18 décembre |
" |
VERNET Louis Eugène |
16 janv.1903
|
Darcy (matin) |
|
17/18 décembre |
Les libérations interviendront rapidement, dès le 20 décembre pour la plupart. Seuls KONCZAK, LAGOUTTE et LAGRUE seront gardés plus d'un mois à la prison de Chalon (jusqu'au 30 janvier 1942) ; le commissaire DIVES aura conclu de ses interrogatoires qu'ils avaient une responsabilité particulière de "provocation à la grève". Le procureur de la République ne fera pas de détail et délivrera ses mandats de dépôt à la prison de Chalon avec un même motif pour tous de "propagande ou d'action communiste ou anarchiste". Tous seront libérés sur simple décision de sa part, sans procès...
Analyse
Le tableau fait apparaître la forte implication des mineurs polonais : 18 sur les 36 arrêtés, 14 des 28 emprisonnés à Chalon. (Notons aussi la présence d'un Italien, DE SANTI).
On peut n'y voir que le simple reflet mathématique de la population des mineurs de fond (on sait que les Polonais constituaient en gros la moitié de l'effectif), il signifie aussi que les Polonais étaient aussi nombreux que les Français parmi les fortes têtes prêtes à protester... Tout comme nous le démontrions dans un autre article (Mineurs polonais et syndicalisme) et contrairement à bien des idées reçues, dès les années 30, les ouvriers-mineurs polonais ont constitué un élément puissant de la conscience et de la force ouvrières dans le bassin de Blanzy. L'histoire conventionnelle gomme généralement cet aspect...
On constate également parmi les arrêtés, le grand nombre de mineurs des puits Darcy : 27 arrêtés, dont 19 emprisonnés à Chalon. Dans les PV d'interrogatoires transcrits ci-dessus à titre d'exemple, on a vu mentionnée la présence active de l'ingénieur divisionnaire Olivier au départ des cages, cherchant à s'opposer au mot d'ordre de grève et incitant individuellement les mineurs à descendre au travail. Tous seront désormais convaincus qu'il aura directement désigné les hommes à arrêter. C'est le premier indice que nous avons retrouvé de la vindicte durable dont il sera désormais l'objet... jusqu'à son assassinat, le 15 juillet 1944.
Quelques destins :
Parmi les mineurs arrêtés, nous en avons repéré deux qui s'engageront bientôt dans la résistance POWN (MADEJ et SMEKTALA). Quatre autres se retrouveront dans la MOI (CIESLAK, OLCZAK, KOKOT, TRZECIAK). Parmi eux, Mieczyslaw KOKOT fera partie du premier groupe armé et se retrouvera en octobre 1943 au maquis russo-polonais de Saint-Loup-de-la-Salle ; quant à Franciszek TRZECIAK, ancien dirigeant de la section polonaise CGT du Magny, il sera arrêté par la police française en mars 1944, en tant que sédentaire de la MOI, livré aux Allemands et mourra en déportation.
Aussi tragique sera le sort d'Antoine ADAMCZYK et de son fils Léon, qui seront portés sur une liste de traitres et assassinés par le groupe "Morin" des FTP français, en juillet 1944, en même temps que leur fille et soeur - voir l'article Nettoyage au pays.
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