10 août 1944 - Etang-sur-Arroux
DUR REVERS POUR LE MAQUIS POLONO-RUSSE
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Août 1944 - La situation militaire tourne définitivement à l'avantage des alliés débarqués en Normandie, le 6 juin précédent ; sur tout le territoire, la Résistance vit une période d'intense activité insurrectionnelle. Ainsi dans l'Ouest de la Saône-et-Loire adossé au Morvan, les FTP du maquis Valmy, qui avaient été dispersés par les Allemands lors de l'attaque d'Uchon, le 15 juin 1944, reçurent l'ordre de revenir se grouper sur le plateau et d'en faire une sorte de zone libérée, bien défendue grâce aux nombreux volontaires qui affluaient et aux armes parachutées, à même de lancer des actions contre l'occupant désormais réduit à la défensive dans ses garnisons.
Le maquis polonais s'était réinstallé dans les fermes proches d'Aigrefeuille ; il était, pour quelque temps encore, groupé avec un maquis soviétique formé de prisonniers évadés de camps de travail allemands en France. Quatre d'entre eux allaient être tués à Etang, le 10 août 1944.
L'affaire est documentée par deux sources : la mémoire locale, qui aboutit à un récit publié dans le bulletin municipal de la commune (Etang-Info n°11, de juin 1994), le rapport du commandant "Roger" (Mieczyslaw Bargiel), qui apparaît de deux façons ; d'abord le texte rédigé par lui quelques jours après le combat, et retrouvé aux Archives nationales polonaises à Varsovie, ensuite le récit plus littéraire qu'il en fait dans un chapitre de son livre "Nasz Batalion".
Je vous propose ci-dessous ces deux sources, qui concordent largement.
Pour la clarté de l'histoire, notez que ce jour-là le maquis Mickiewicz avait reçu pour mission d'aller saboter la raffinerie des Télots, au Nord d'Autun, qui produisait alors de l'essence pour l'armée allemande à partir de schistes bitumineux. L'expédition, composée d'une quarantaine d'hommes transportés dans trois véhicules, était commandée par le capitaine Théodore Plonka (pseudo : "le Type"), secondé par le chef des Russes (pseudo "Ivan") et par le lieutenant Julien Nowak ("Sûr"). Plonka était dans le véhicule de tête, Nowak dans le camion qui fermait la marche, avec le gros de la troupe.
- Etang, le pont sur l'Arroux, situation avant le 8 mai 2015 -
(Cliquer sur la photo pour agrandir)
Le récit paru dans le bulletin municipal d'Etang-sur-Arroux
CHEZ NOUS, A ETANG, ce (10 août 1944), les Allemands assurent une garde vigilante du pont ferroviaire sur l'Arroux de peur que ne se renouvèle le sabotage du 15 juin. Les soldats appartiennent à une unité de la Marine de Guerre allemande. Ils ont installé leur P.C. à l'hôtel des Voyageurs, tenu en ce temps-là par M. Lauroy.
La journée s'annonce belle. Une camionnette à gazogène chargée de maquisards polonais, gais et insouciants, venus par la route de Toulon, s'apprête à franchir le vieux pont de pierre. La camionnette est précédée d'une traction avant Citroën. Les canons des fusils et mitraillettes dépassent par les vitres des portières. Ils s'en vont en direction d'Autun à la recherche de ravitaillement. Eux aussi savent que la rude vie de proscrit va bientôt se terminer. Mais les sentinelles veillent. Le soldat allemand de garde à l'entrée de l'hôtel aperçoit le convoi : "Terroristes ! Terroristes !". C'est l'affolement. La mitraillade dure quelques minutes seulement.
Trois jeunes maquisards sont tués sur le coup. Un quatrième, blessé, a trouvé refuge dans la forge voisine de M. Badet qui venait lui-même d'être relâché de la prison de Chalon. Un Allemand s'approche et achève le malheureux blessé d'une balle en pleine tête.
Encore quatre vies fauchées dans la fleur de l'âge !
Aucun soldat allemand n'a été tué ou blessé.
Les braises du gazogène se sont répandues sur la chaussée. Les maquisards rescapés ont réussi à s'enfuir le long des berges de l'Arroux et dans les jardins. Certains blessés trouvent refuge dans les maisons voisines.
Mais très rapidement, les renforts allemands arrivent d'Autun. Le village est bouclé et les patrouilles sillonnent le pays à la recherche d'éventuels maquisards.
La fouille des maisons commence. Des otages sont placés dos au mur, sous la menace des mitraillettes, à l'hôtel du Centre, route de Brion, Maison Bapt route de Toulon, où des maquisards blessés ont été soignés. En empruntant les berges de l'Arroux et par le couvert du bois Perchot, ils réussissent à regagner leurs bases.
"Papieren !! Papieren !! Schnell !! Si nous, Allemands, tués, vous fusillés, maison incendiée…"
Etang subira-t-il le sort d'Oradour, de Dun-les-Places ou d'Anost ?
Dans l'après-midi, les Allemands ont reçu l'aide des sinistres Gressard et Grosjean, Autunois membres de la Gestapo, qui avaient déjà sévi chez nous (…) Gressard va jusqu'à surveiller les patients du médecin – qui effectuait ses consultations à domicile – dans l'espoir de surprendre un éventuel maquisard blessé venu chercher du secours…
Malgré toutes les recherches, aucun résistant n'est retrouvé. L'occupant n'a subi aucune perte.
Etang sera épargné.
Mais, de rage, les Allemands ont jeté les corps des quatre malheureux au pied du pont, par-dessus le parapet de pierre. Les cadavres gisent maintenant au bord de la rivière.
Les corps seront hâtivement recouverts de terre. En se faufilant par les jardins et par-dessous la première pile du pont, un "terroriste" venu d'Uchon, avec une audace incroyable, parviendra à déposer un drapeau tricolore sur la tombe sommaire des quatre malheureux. Le drapeau avait été confectionné en toute hâte dans une maison voisine. Ce n'est que plus tard que les victimes de la tuerie recevront une sépulture décente…
Le rapport de Bargiel
(Cliquer sur le texte pour lire)
Bargiel n'a pas participé au combat ; il écrit là ce que lui ont transmis Plonka et Nowak. Dans son livre, il insiste plus lourdement encore sur l'inconscience des Russes qui ont ouvert le feu, les présentant comme notablement indisciplinés.
On sait par ailleurs que les blessés les plus gravement atteints étaient un Russe, blessé au ventre, et Ottavio Tamponi, le brigadiste italien intégré au maquis Mickiewicz, qui avait reçu une balle à la jambe. Les maquisards rejoignirent leur cantonnement vers 3 heures du matin... Les blessés furent emmenés dans des fermes de la commune de Saint-Berain-sous-Sanvignes, à proximité des médecins exerçant au quartier du Bois-du-Verne. Nos enquêtes récentes tendent à prouver que le blessé au ventre allait succomber rapidement et être enterré dans un bois. Ce serait alors très probablement la 5ème victime soviétique de cette affaire.
On note la différence d'estimation de la durée de l'accrochage ; on peut supposer que les combattants ont eu tendance à l'exagérer. Surtout, il y a désaccord sur le nombre des tués : Bargiel estime avoir perdu 3 hommes, du contingent soviétique : les frères Grégoire et Nicolas CHTYKOV, ainsi que Victor SVONOV (transcription russo-française usuelle). Or il est indubitable que les habitants d'Etang ont relevé 4 corps, qui sont aujourd'hui enterrés au cimetière municipal, et qu'un cinquième repose probablement dans un bois perdu de Saint-Berain-sous-Sanvignes..
Peut-on en déduire que l'état-major polonais était peu comptable des maquisards soviétiques ? On peut s'étonner également qu'après la Liberation nul ne se soit soucié de faire mettre une plaque sur la tombe des tués, qui allaient reposer 70 ans anonymement dans un caveau collectif.
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Liens :
1/ Sur ce site : En cliquant sur leur nom, vous pouvez vous reporter aux biographies de Mieczyslaw BARGIEL, Théodore PLONKA, Julien NOWAK, Ottavio TAMPONI.
Un article apporte quelques détails sur l'usine de schistes bitumineux des Télots - cliquer ici.
2/ Sur le site RAIL et MEMOIRE, un autre évènement tragique à Etang-sur-Arroux, qui met en scène le milicien Gressard dont on parle dans le bulletin municipal : les arrestations de résistants, le 23 avril 1944, avec le martyre des cheminots Louis BELOT et Pierre LHOSTE : cliquer ici.
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