Résistance polonaise en Saône-et-Loire

Résistance polonaise en Saône-et-Loire

décembre 2014 : Boleslaw Mnich

 6 janvier 2015

 

 

Boleslaw MNICH, ancien habitant du bassin minier de Montceau, s'est éteint à son domicile de Bytom, en Silésie, le 30 décembre dernier, à l'âge de 87 ans. Son nom résonne peut-être encore aux oreilles des familles du quartier des Essarts, à Sanvignes.

En contact avec lui par un ami, j'avais recueilli un document peu ordinaire, le récit de sa vie qu'il avait écrit en 1978, répondant à une collecte de mémoires lancée par les anciens de son organisation de jeunesse (Grunwald). Ce récit est fascinant aujourd'hui, il aide à comprendre ce que fut le trajet d'une partie de l'émigration polonaise en France, ceux qui se reconnaissaient dans la gauche et adhérèrent au nouveau régime qui se mettait en place à Varsovie.

En hommage à sa personne, par respect pour l'engagement et l'idéal qui furent les siens, je publie ce documentla recherche historique n'est là ni pour flatter les conformismes, ni pour taire ce qui fut. Vous verrez que Boleslaw Mnich, par tradition familiale, se situa tout jeune dans le combat des "Rouges", au sein de son quartier et de son école, contre les courants dominants de la communauté polonaise. Sous l'Occupation, il devint agent de liaison de la MOI, et nous voyons apparaître dans son récit, dans leur quotidien, des personnages déjà rencontrés sur ce site : le père et le fils Szewczyk, leur voisin Smolarz, autrement dit ceux qui allaient être arrêtés avec "Gaston" et mourir en déportation [voir le récit), ceux-là même que la commune de Sanvignes a inscrits sur son monument aux morts, le 8 mai 2015.

Comme beaucoup d'autres, sa famille rentra en Pologne après la guerre, probablement avait-il la conviction d'aller y construire le socialisme, et Boleslaw fut un partisan résolu du nouveau régime, jusqu'à en devenir "Milicien".

Il y subit un dur retour de manivelle en devenant suspect durant la période la plus aigüe de la guerre froide ; il poursuivit son chemin obscur d'employé puis d'ouvrier, fidèle envers et contre tout au parti dans les soubresauts des années 56 et 70.

     

 

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- Les Essarts avant-guerre, ph de gauche le cinéma, ph de droite, à l'horizon, le puits des Baudras -

                                                                                      (cliquer sur chaque photo pour agrandir)

 

 Son texte (traduit du  polonais par Iwona Bojadzijewa)...

 

 

"Je suis né le 10 octobre 1927 à Rudniki, district de Staszow. Depuis 1947 j’habite à Bytom. Je travaille à l’Entreprise de Construction de Puits à Bytom. J’ai émigré en France en 1930, avec ma mère Katarzyna, née Sadlocka, et mon frère aîné Stanislaw. Mon père Stanislaw était parti un an plus tôt, en 1929, en suivant les pas d’autres vagabonds Polonais qui, en quête du travail et du pain qui manquait dans la Pologne de « sanacja » [1], sont allés travailler dans les mines françaises. Mon père, propriétaire d’environ un hectare d’une terre peu fertile à Rudniki, n’était plus capable de nourrir sa famille. Déjà dans les années vingt, il partait faire des travaux saisonniers en Allemagne où il s'embauchait dans des fermes.

Arrivés en France, nous nous sommes installés dans le village des Essarts, commune de Sanvignes-les-Mines, dans le département de Saône et Loire. Mon père a été embauché à la mine, au puit de « Laugerette », dans ce même village.

Le milieu social était composé avant tout d'ouvriers de différentes nationalités, employés aux mines de charbon environnantes. Dans ces conditions, c’étaient donc les Français qui formaient le groupe le plus favorisé. J’ai toujours entendu dire, et j’ai pu le vérifier moi-même, qu’un Français c’est soit un commerçant, soit un garde, soit un fonctionnaire.

J’ai rejoint les rangs de la gauche assez tôt, puisque que à l'âge de 7 ans, j’ai adhéré au Scoutisme Rouge. Le camarade Tadeusz Hasik, qui m’a inscrit, était un ancien membre de l’organisation de jeunesse de TUR [2], puis membre du PCF. A présent, il habite à Varsovie. On se donne rendez-vous de temps en temps. Plusieurs collègues de cette période, anciens scouts rouges, vivent aujourd’hui en Pologne […].

Nos uniformes étaient composés d’une chemise bleue claire, de pantalons  courts de couleur bleue marine, et d’un foulard rouge qu’on nouait autour du cou. Mes instructeurs et tuteurs inoubliables étaient : Leon Stanczak (décédé), Szewczyk père et fils (décédés), Smolarz (décédé) [3], Dabrowski, père de Eugeniusz, domicilié à Bytom, Wladyslaw Pich, de Bytom, Smialkowski, Ciszek, Kardynal, Krolikowski, Barnas, qui sont tous rentrés au pays. Ils étaient de véritables vieux communistes !

Aujourd’hui, en regardant en arrière, je me rends compte que si petit je ne pouvais pas être entièrement formé politiquement, mais déjà à cette époque-là je savais à quoi m’en tenir. Durant la guerre civile en Espagne, entre 1936 et 1938, je lisais tous les jours à mon père, qui ne savait ni lire ni écrire, la presse de l’immigration polonaise consacrée à ces évènements. Peu à peu, je suis devenu familier avec la question de la lutte des classes et si je ne comprenais pas tout, mon père m’expliquait le but de la lutte républicaine.

Toujours avant la guerre, alors que j’étais membre du scoutisme rouge et fréquentais l’école polono-française, tous les ans, le jour du 1e mai nous nous rassemblions avec des membres de OM TUR, des cégétistes et des communistes français. Bien évidemment, nous, les rouges – car c’est comme ça qu’on nous appelait – nous n’allions pas à l’école ce jour-là. Des bus nous emmenaient à la ville de Montceau-les-Mines située à 8 kilomètres . Devant la mairie, sur une place nous formions un défilé et nous marchions dans les rues. Après être arrivés à la salle du Syndicat des Mineurs, il y avait une assemblée solennelle consacrée à l’évènement. Pendant la partie artistique, nous, les garçons du Scoutisme Rouge, nous déclamions des poèmes sur des thèmes ouvriers et révolutionnaires.

Je n’oublierai jamais lorsque chaque année, au lendemain du défilé du 1e mai, notre instituteur de l’école polonaise, un certain Marian Dabrowski – aujourd’hui je peux dire que c’était un réactionnaire – nous faisait venir au milieu de la classe et demandait ce que nous avions appris cette fois-là. Et lorsque nous répondions que nous récitions des poèmes et chantions des chansons, il nous les faisait réciter et chanter. Nous étions quatre scouts rouges dans la classe : Jan Kowalski, Henryk Cipior, Wladyslaw Stachowicz et moi. Ensuite, en s’adressant aux autres (environ 40), d’un ton ironique, il nous traitait d’irréligieux en ajoutant «  Qu’est-ce que vous allez devenir ? », « il n’y a aucune référence à Dieu dans ces poèmes et ces chansons » etc. Ce disant, il nous rendait ridicules aux yeux des autres élèves et tel était d’ailleurs son but. Cet instituteur était aussi organiste à l’église locale. Nous, jeunes garçons, nous n’étions que plus motivés pour défendre notre cause. Et la meilleure preuve c’est que nous la défendons jusqu’à présent.

Ensuite l’occupation hitlérienne a commencé. Pendant les deux premières années je n’ai rien observé de concret. Les soirs, nous allions chez les Szewczyk où nous écoutions illégalement la radio polonaise de Londres. Pour nous, les Polonais, c’étaient des moments réconfortants. Il y avait toujours certaines informations que je réussissais à retenir et donc je les transmettais à mon père qui ne rentrait qu’au petit matin. Entre 1942 et 1943, alors que je travaillais déjà, d’abord à l’atelier de criblage et puis au fond, à la mine de charbon de « Laugerette », un sentiment de responsabilité m’a envahi.

Un soir, chez les Szewczyk, après avoir écouté la radio on m’a fait rester pendant quelques minutes. Puis on m’a annoncé que j’aurais une tâche à exécuter. Je serai chargé de recevoir et distribuer des lettres et des documents. J’ai dû jurer que j’allais garder le secret et c’est ainsi que mon travail clandestin a commencé. Chaque foisn avant de recevoir ou distribuer un courrier, j’en étais informé quelques heures plus tôt. Je transportais les différents documents à l’intérieur du tube de guidon de mon vélo ou dans le tube se trouvant en dessous de la selle. Quand le courrier était plus grand je le transportais dans un sac rempli d’herbe que je ramassais pour les lapins. Combien de fois ces brochures appelant à des actions de sabotage et de diversion, collées sur les murs et lues ensuite par les passants, devenaient l'évènement du jour. A ces moments-là, je me rendais compte à quel point notre mission était importante. Quand j’y pense aujourd’hui, je peux constater que je n’étais pas vraiment conscient de notre responsabilité, ni du danger qui me menaçait.

En 1943, j’étais alors âgé de 16 ans, nous avons appris que pendant la nuit les Allemands avaient emmené Smolarz et les deux Szewczyk. On a eu vraiment peur. Nous avons passé des jours en craignant pour le lendemain. Certains activistes sont partis dans la forêt. Au bout d’un certain temps les familles des arrêtés ont été informées que leurs proches étaient mort à Dachau. Les communistes devaient être très fermes à cette époque. Je ne veux pas imaginer ce que ces gens ont dû souffrir avant de mourir car on sait maintenant que les nazis ont été très cruels envers les communistes.

Si personne d’autre n’a été arrêté par les Allemands, c’est sans doute grâce à l’attitude des héros communistes que je viens de mentionner et aussi parce que les résultats de la perquisition effectuée dans les maisons des familles des victimes ont été négatifs. Tout le courrier, les registres et les brochures se trouvaient alors chez le camarade Lech Stanczyk.

Après la libération, dès que nous avons reçu des informations sur la formation d’associations de l’immigration polonaise et du Conseil National des Polonais en France, en suivant les pas d’OPO (Organisation d’Aide à la Patrie) et de la Ligue des Femmes Maria Konopnicka, nous nous sommes mis à former l’organisation ZMP Grunwald aux Baudras, à côté des Essarts. Ce n’était pas facile au début. Nous n’étions pas nombreux. Nous avions un concurrent puissant – le Cercle de l’Association Catholique de la Jeunesse Polonaise (KSMP, Katolickie Stowarzyszenie Mlodziezy Katolikiej), financé par les riches Polonais, propriétaires de magasins. En plus, il y avait un grand groupe de « Andersowcy » [4] qui sont rentrés après la démobilisation. Nous ne pouvions compter que sur des personnes qui n'avaient pas de rapport à eux afin d’accroître les rangs de notre organisation.

Au début j’étais trésorier. Après l'élection suivante, on m’a élu secrétaire et j’ai gardé ce poste jusqu’à mon départ au pays. Grâce à notre bonne organisation, à la création d’un cercle théâtral, d’une section de foot, de volley-ball et d’athlétisme, nous avons vite gagné des sympathisants. Au bout d’un an, notre organisation comptait environ 45 membres – ce qui était beaucoup, étant donné la taille du village. Avec le temps notre cercle a encore grandi car des jeunes qui venaient d’avoir 14 ans entraient dans nos rangs.

En 1946, nous avons organisé une quête parmi des Polonais afin d’aider les victimes d’inondations en Pologne. La même année nous avons activement préparé et réalisé des actions de solidarité pendant le référendum en Pologne. Toujours avec enthousiasme, nous avons fait de la propagande le jour de l’élection, le 19 janvier 1947. La Conseil National du district de Montceau-les-Mines nous a transmis un excellent matériel de propagande, venu de Pologne.

En 1946 j’ai été envoyé comme délégué au 1e Rassemblement national de ZMP Grunwald à Bruay-en-Artois. En juin 1947, on m’a envoyé au cours formant des instructeurs de camps d’été pour des enfants polonais qui a eu lieu à Cergy s/Oise, près de Paris. Le cours était organisé par Le Bureau Central de ZMP Grunwald et la Société des Amis de la Jeunesse Polonaise en France.

Le 6 janvier 1947 j’ai adhéré au PPR [5] et ensuite, comme des milliers de Polonais, je suis rentré en Pologne, le 2 septembre 1947. Je me suis installé à Bytom. Tout d’abord, j’ai commencé à travailler à la mine de Rozbark. Le 1er décembre 1947, le Comité de Ville du PPR à Bytom m’a orienté vers un travail dans la Milice Citoyenne [6]. En 1953 on m’a licencié en se basant sur un certificat produit par le comité médical [7]. Du 1er  octobre 1954 au 31 octobre 1958, j’ai travaillé à WPTHW à Katowice en tant que directeur de la section du personnel.

Afin d’améliorer ma situation matérielle, je suis retourné à l’industrie minière le 4 novembre 1958 et je travaille maintenant en tant que travailleur manuel à l’Entreprise de Construction de Puits, à Bytom. Après une formation, je suis devenu conducteur de machines de remontée, jusqu’à aujourd’hui.

Pendant mon travail à WPTHW, j’ai exercé les fonctions de 2ème puis de 1er secrétaire du PZPR [8] tandis qu’à l’Entreprise de Construction de Puits, j’ai été chef de groupe OOP – PZPR et délégué du Conseil d’Entreprise ZZG. Je suis membre de KSR [9].

Entre 1974 et 1977, j’ai été envoyé pour des missions d’exportation en France dans le cadre de „Kopex”. Je considère cela comme un privilège en raison du bon travail que j’ai effectué sur le terrain professionel comme sur le terrain social. Depuis 1948, je suis adhérent du PZPR.

J’ai reçu la Médaille du 10e Anniversaire de la Pologne Populaire en 1955, la Croix d’Argent du Mérite en 1969, la Croix d’Or du Mérite en 1974 et la décoration de Stakhanoviste en 1969.

 

En terminant ces mémoires, je regrette de ne pas être né un peu plus tôt car je serais plus vieux aujourd’hui mais mes souvenirs seraient plus riches.

 

Salutations de Grunwald"

 
 
 


[1] Sanacja = assainissement, appellation que le maréchal Pilsudski donna à la politique qu'il allait mener après son coup d'état de 1926. Terme utilisé péjorativement par ses adversaires pour désigner son gouvernement.

[2] TUR = Association de l'Université Ouvrière, qui assurait des cours dans les quartiers… Elle avait été fondée par le mouvement syndical en Pologne.

[3] Les deux Szczewczyk et Smolarz allaient participer au premier groupe armé FTP-MOI. Ils seront arrêtés en même temps que "Gaston", début octobre 1943, et mourront en déportation.

[4] Soldats de l'armée Anders, en Italie…

[5] PPR = le parti ouvrier polonais, qui remplaça en 1942 l'ancien KPP, le parti communiste polonais, démantelé par Staline avant la guerre.

[6]  Les Polonais rentrés de France et orientés à Gauche sont d'abord utilisés dans les forces de répression du nouvel état "socialiste".

[7]  Arrive ensuite la guerre froide ; Bolek est discret sur cette période, où les mêmes Polonais rentrés de France sont maintenant mis à l'écart, parfois persécutés, pour les liens qu'ils étaient supposés avoir avec l'Ouest…

[8] PZPR = c'est le nom que prend le parti issu de la fusion en décembre 1948 du PPR et du PPS, le parti socialiste polonais. Il est en réalité totalement contrôlé par les communistes, malgré son appellation (PZPR = POUP = parti ouvrier unifié polonais)

[9]  KSR = Conférence de l'autogestion ouvrière, issue de la réforme économique consécutive aux révoltes ouvrières de 1956.



06/01/2015
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