Septembre 1925 - Les revendications des mineurs polonais...
Le premier article de Prawo-Ludu traitant du bassin montcellien
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Edité dans le Pas-de-Calais à partir de 1924, le journal "Prawo Ludu" (le Droit du Peuple) était au départ un mensuel régional lancé par les militants socialistes polonais du PPS, en réponse au journal "Robotnik Polski" (l'Ouvrier polonais) fondé par les communistes.
En 1925, il devint hebdomadaire et fut diffusé dans toutes les implantations polonaises de France. Il était alors domicilié à Paris et portait en sous-titre : Organe des ouvriers polonais associés à la CGT.
Rappelons que la CGT historique avait scissionné au congrèe de Lille en 1921, une CGTU à tendance communiste existant dès lors face à la CGT maintenue, dite confédérale. Dans l'industrie minière, en particulier dans le bassin de Montceau, la CGT resta largement majoritaire.
Prawo-Ludu fonctionna dès lors en laissant une large place à ses correspondants locaux, les numéros comportant de nombreuses rubriques issues des principales colonies polonaises de France. Celles de Montceau n'étaient pas en reste et dans bien des numéros on voyait cohabiter des nouvelles distinctes en provenance des Gautherets, de Blanzy, de la Saule, etc...
Prawo-Ludu, dont une collection (incomplète) est conservée à la BNF, est donc une source précieuse de l'histoire syndicale et de celle des quartiers polonais d'avant-guerre.
Même remarque pour le journal communiste "Robotnik Polski", devenu "Dziennik Ludowe" en 1936, dans les colonies où le courant était implanté.
C'est dans le numéro de "Prawo-Ludu" du 25 septembre 1925 qu'un premier article traite du bassin minier montcellien. Il est, cette première fois, rédigé non par des locaux mais par par un professionnel venu en accompagnement d'un dirigeant syndical polonais en tournée en France. Il fourmille de détails sur les problèmes qui se posent aux ouvriers immigrés.
Notons que le syndicat des mineurs de Montceau, qui a enregistré beaucoup d'adhésions polonaises (voir ici), a pris un abonnement à Prawo-Ludu en mars 1925.
Le premier article
Prawo Ludu, le 25.09.1925
A Montceau-les-Mines, Gautherets et Blanzy
Les 6 et 7 septembre, des meetings importants ont été organisés par le syndicat des mineurs à Montceau-les-Mines, aux Gautherets et à Blanzy. Le camarade Adam Ciołkosz de Cracovie, de passage en France, a pris la parole.
Il a présenté la situation économique en Pologne et la lutte de la classe ouvrière polonaise pour la défense de ses droits. Il a expliqué très clairement le besoin, pour les émigrés polonais, de s’organiser au sein d’un syndicat, aux côtés des ouvriers français.
Les exposés ont été suivis de discussions, dont la plus longue et animée a eu lieu aux Gautherets. Le débat a porté sur les difficultés rencontrées localement par des ouvriers polonais. Les plaintes les plus amères concernent le consul polonais de Lyon (dans toute la France, hélas, les ouvriers se plaignent davantage des « protecteurs de l’Etat polonais » que des capitalistes eux-mêmes, qui ne sont pas vertueux mais – d’après ce qu’on apprend – bien meilleurs que nos consuls). Celui de Lyon délaisse complètement les émigrés ; lorsque'il arrive, il se rend tout d’abord directement en voiture déjeuner avec la direction de la compagnie et ne vient pas voir les ouvriers, ne serait-ce que pour sauver les apparences (peut-on alors s’étonner que les consuls gratifient les capitalistes français de médailles polonaises, comme l’a relaté récemment la presse française). Les ouvriers polonais se plaignent également du consulat polonais qui pratique des tarifs exorbitants pour les diverses démarches. La traduction française d’un acte de naissance coûte 70 francs, ce qui est excessif pour un modeste salaire d’ouvrier (les consuls se justifient en disant que le ministre du Trésor Grabski leur a demandé de voler ainsi les émigrés).
En dépit de la circulaire du consulat, le consul Kluczyński garde indûment pour prolongation les passeports d’émigration (valides seulement six mois) des ouvriers venant de Pologne. Il faut attendre 3 à 4 mois pour que la validité soit prolongée et, de surcroît, payer 300 francs.
Les plaintes ont porté également sur les « jours de repos » imposés. Lorsqu’un ouvrier refuse un travail supplémentaire, imposé en violation du contrat, il est mis d’office « au repos » pendant 2 à 3 jours, ce qui entraîne une perte financière. Quand une telle brimade concerne des ouvriers italiens, un employé du consulat vient immédiatement sur place pour défendre les victimes ; mais le consul polonais ne peut pas, évidemment, défendre les ouvriers polonais, vu ses relations avec la direction. Les Italiens ne subissent donc pas les « jours de repos » imposés, car la compagnie appréhende l’intervention des autorités italiennes. Les Polonais, par contre, restent sans défense sans que cela nuise à la réputation du consul Kluczyński.
Les plaintes concernent également l’absence de traducteurs dans les mines. Après l’intervention du syndicat, à la demande de sa section polonaise, la compagnie a accepté que, en cas de besoin, des ouvriers polonais parlant français puissent servir d’interprètes sans perte de salaire. Mais cette décision n’est pas appliquée, ce qui porte préjudice aux mineurs polonais qui ne parlent pas français.
La débat a porté également sur la signature, par les gouvernements polonais et français, d’un accord concernant les cotisations vieillesse et invalidité. Ces cotisations (10 à 15 francs par quinzaine) ne sont pas acquises aux ouvriers polonais qui repartent en Pologne. Il est demandé que les gouvernements régularisent la question pour que ces cotisations restent acquises après le départ.
La colonie polonaise a besoin de livres et de journaux en polonais pour développer les activités culturelles et éducatives. Les ouvriers polonais n’ont aujourd’hui aucune association éducative autre que cléricale et l’ignorance est un ennemi majeur du prolétariat. Il serait bon que les syndicats ouvriers en Pologne apportent leur soutien aux émigrés polonais en envoyant des livres et des journaux.
Lors du meeting des Gautherets, une résolution a été votée demandant l’envoi en France, par le gouvernement polonais, d’une commission spéciale pour examiner les conditions de vie des ouvriers polonais. La résolution a également appelé tous les partis de gauche en Pologne à arrêter leurs querelles et à soutenir, avec le PPS, les intérêts ouvriers. Une autre résolution visait à réunir tous les syndicats ouvriers au sein d’une confédération unique pour répondre efficacement aux attaques des capitalistes. C’est un appel justifié, adressé tant à Związek Robotników Polskich de Lille (1) (qui n’est pas organisation sectorielle mais, par sa démagogie, détourne la classe ouvrière de son syndicat) qu’à « Uniterów ». On demande à cette dernière organisation d’arrêter ses agissements et d’adhérer aux sections polonaises de la CGT car l’unité est la seule voie susceptible d’améliorer les conditions de vie des ouvriers.
(1) - L'Association des ouvriers polonais était une tentative d'organisation professionnelle, visant à détourner l'adhésion des Polonais au syndicat commun avec leurs camarades français (la CGT en l'occurence). Elle était soutenue par la mission catholique polonaise en France et par le journal "Narodowiec". Une tentative d'implantation à Montceau fit long feu, un de ces principaux animateurs, par ailleurs banquier, ayant été convainu d'escroquerie au détriment des ouvriers polonais.
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