L’effroyable fin des sœurs SZCZEPANIAK
22 novembre 2016
L’effroyable fin des sœurs Szczepaniak - 15 juillet 1944
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Franciszka et Pelagia Szczepaniak
(à droite à l'entrée de leur maison du Bois-Roulot, avec leur mère Agnieszka au centre)
Parmi les assassinats de l'été 44, un autre récit où des Polonaises sont encore victimes…
Souvenir d’enfance
Quel âge pouvais-je avoir ? Moins de 10 ans certainement… Une image me revient parfois, celle d’une vieille dame de grande taille montant la rue de Montchevrier, dans ce quartier ouvrier de Montceau fait de maisonnettes espacées entourées de palissades ou de haies vives. La nôtre faisait justement le coin de la rue Etienne-Merzet (une grande figure du syndicat des mineurs) et de cette rue de Montchevrier qui montait vers le cimetière du Bois-Roulot. La dame passait le long du muret de pierre qui se trouvait là et sur lequel j’étais souvent juché ; elle passait donc tout près de moi, tête basse, sans un regard, comme perdue dans ses pensées. Elle était tout de noir vêtue, somme toute comme nos grands-mères, mais elle avait aussi sur la tête, selon la saison, un fichu ou un foulard, noir aussi, et aux jambes d’épais bas noirs… Cet éternel habit de deuil faisait paraître son visage et ses cheveux plus blancs encore. Elle avait toujours à la main un broc et nous savions qu’elle montait ainsi au cimetière arroser des fleurs, chaque jour, en toute saison… Elle m’impressionnait fort, car elle était l’image-même de la souffrance, éternellement attachée à ses morts. Les adultes se montraient pleins de respect pour elle ; oh bien peu lui disaient même bonjour, mais parfois ils en parlaient entre eux, avec une compassion inhabituelle chez ces gens généralement très pudiques. On m’avait expliqué que c’était une Polonaise et que ses deux filles avaient été tuées par des maquisards peu avant la Libération. On sentait une sourde réprobation dans les familles, dont pourtant la plupart des hommes avaient été au maquis ; en général cela se traduisait par ces mots : « C’est des jeunes qu’ont fait ça, ils étaient quand même inconscients, pensez-donc qu’ils les ont d’abord montées jusqu’au « foutiau rond », après le cimetière, et puis qu’ils les ont ramenées pour les tuer devant leur mère… Y’en a une qu’avait même un enfant ».
Signe de la forte impression laissée par cet évènement dans l’esprit des gens, de sa permanence dans la mémoire collective locale, il y a quelques années ma mère vieillissante me racontait une fois de plus cette triste histoire ; elle était convaincue alors d’avoir vu de ses propres yeux les deux malheureuses redescendre la même rue de Montchevrier, encadrées par leurs assassins. Pourtant mes parents n’allaient venir habiter cette maison qu’après leur mariage, trois années après la Libération.
Gérard Soufflet
Aux archives
Il se trouve que mes recherches aux archives départementales de Dijon m’ont fait exhumer récemment un rapport de police qui détaille ce sordide carnage.
Montceau-les-Mines, le 18 juillet 1944
Le Commissaire de Police CHALLON Léopold, chef de
la Section de Police de Sûreté de Montceau-les-Mines.
à Monsieur le COMMISSAIRE DIVISIONNAIRE,
Chef du Service Régional de Police de Sûreté à DIJON
OBJET : Assassinat des nommées SZCZEPANIAK Paulette et
Françoise
J’ai l’honneur de vous rendre compte de l’enquête menée au sujet de l’assassinat des sœurs SZCZEPANIAK.
LES FAITS
Le 15 juillet 1944 à 22h30, les nommées SZCZEPANIAK Paulette et Françoise, de nationalité polonaise, ont été abattues à leur domicile, 31 rue du Petit Bois à Montceau-les-Mines.
L’ENQUETE
A 22h30, trois individus se sont présentés au domicile des sœurs SZCZEPANIAK et ont demandé à leur parler. Ils ont exigé que les deux femmes les accompagnent et, en leur compagnie, se sont dirigés en direction du cimetière du Bois Roulot. Environ un quart d’heure plus tard, les deux sœurs escortées de onze individus étaient de retour à leur domicile et pendant que 6 hommes se tenaient dans la cour, 5 autres pénétraient dans la maison et se livraient à une perquisition de l’appartement.
Cette visite terminée, les sœurs PAULETTE et FRANCOISE furent invitées à sortir de la maison tandis que leur mère et le jeune SZCZEPANIAK Jean, fils naturel de la nommée FRANCOISE, recevaient l’ordre de rester à l’intérieur. Des paroles à voix basse furent alors échangées entre les femmes et leurs agresseurs. La mère SZCZEPANIAK née URBANIAK redoutant un drame et ne tenant pas compte de l’ordre reçu voulut sortir et tomba sur le seuil ; sa fille PAULETTE, invitée par celui qui paraissait être le chef à faire rentrer sa mère, s’est exécutée et a réussi à l’entraîner dans la cuisine, puis est ressortie à l’appel de sa sœur.
C’est alors que les agresseurs ont ouvert le feu et les femmes mortellement atteintes se sont écroulées. Sans attendre davantage, tous les individus présents se sont enfuis sur des bicyclettes qu’ils avaient déposées à proximité.
A notre arrivée sur les lieux, les corps gisaient dans la cour. A droite de la grille, le corps de FRANCOISE était placé légèrement en oblique par rapport au mur de clôture, la tête en direction de l’entrée. Presque en face de la grille celui de sa sœur, les pieds tournés en direction de la maison. Toutes deux étaient couchées sur le dos et portaient à la tête des blessures par balles. La mort avait été immédiate. Plusieurs douilles et balles écrasées du calibre de 7mm65 se trouvaient sur les lieux. L’audition des témoins n’a apporté aucun élément nouveau, les agresseurs étaient âgés de 20 à 30 ans, sans coiffure, vêtus de complets sombres. L’un d’entre eux était d’origine polonaise.
CONCLUSION
Les recherches entreprises n’ont pas permis d’identifier les auteurs de ce double assassinat. Françoise SZCZEPANIAK avait été employée comme interprète à la Kommandantur de Montceau-les-Mines et depuis le départ de cet organisme allemand, elle n’exerçait aucune profession définie. Quant à sa sœur Paulette, elle avait travaillé pour les troupes d’occupation en qualité de cuisinière. D’après la rumeur publique, ces deux femmes passaient pour être à la solde des autorités allemandes et ne jouissaient d’aucune sympathie dans leur entourage. Leurs relations avec les soldats allemands continuaient et ceux-ci étaient reçus à la maison fréquemment. Le motif de l’agression est vraisemblablement causé par leur activité et est l’œuvre d’éléments de résistance.
ETAT-CIVIL DES VICTIMES
(version corrigée, car erreurs sur le document original)
SZCZEPANIAK Françoise, née le 16 janvier 1911 à Werne (Allemagne) de Stanislas et de URBANIAK Agnès, son épouse.
SZCZEPANIAK Pélagie, née le 26 janvier 1913 à Werne (Allemagne) de Stanislas et de URBANIAK Agnès, son épouse.
Nota : Nées en Allemagne, où leur père Stanislaw Szczepaniak avait émigré, les deux filles le suivirent bien sûr en France, où beaucoup de Polonais allaient venir travailler après la Première Guerre mondiale. Il avait été embauché dans une mine de fer de Lorraine, près de Jarny (Meurthe-et-Moselle), ville où naquit le fils de Pelagia, en 1935. On peut supposer que leur venue à Montceau se fit en 1940, parmi nombre d'autres réfugiés lorrains.
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Alors, cher lecteur, exécution de collabos justifiée par les nécessités de la guerre ? Châtiment de coupables, trop familières des occupants ? Des certitudes en tout cas : une double exécution sans jugement, accomplie avec une cruauté indigne (l’enfant qui y assista avait 9 ans), par de jeunes mâles arrogants en armes et couverts par leurs chefs... Une interrogation aussi : qu'avaient subi les deux femmes durant leur passage au bois du "Foutiau Rond", après le cimetière ?
L'éternel de la guerre, en somme...
Notons que ce même 15 juillet 1944 étaient abattus également :
- En début d'après-midi, au 40bis de la même rue du Petit-Bois, Joseph DUMAS, ex-secrétaire chef de Police,
- à 18h30, Louis OLIVIER, ingénieur divisionnaire au puits Darcy, abattu, lui, par des Polonais, à la sortie de son travail,
- à 21h00, Marie-Louise CHAPUIS, née PERROT, à son domicile au 29 rue des Oiseaux...
« Ah que maudite soit la guerre, qui fait faire de ces coups là… »
(in "Le soldat de Marsala" )
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