Mars 1944 - les grandes rafles des Polonais
Extrait des "Téméraires"...
Les grandes rafles des résistants polonais - 5 mars 1944
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Cet article est extrait du livre "Les Téméraires" voir ICI. Celui-ci concerne l’ensemble de la résistance du bassin minier sur la période 1943 à mai 1944, mais quelques chapitres traitent spécifiquement de la résistance polonaise, reprenant souvent les éléments d’articles de respol71.
Les rafles de mars 1944, qui allaient aboutir à 42 déportations, font l'objet d'un chapitre particulier car elles s'enchaînent avec celles des 21 et 22 février qui visaient principalement la résistance française. Nous reproduisons donc simplement ce chapitre (13.3 du livre)
La plupart des personnes mentionnées figurent, avec leur photo, dans la longue liste des déportés, accessible sous l'onglet TUES ET DEPORTES de ce blog.
Chapitre 13.3 (page 334) Chute parallèle des organisations polonaises
La vague d’arrestations qui frappa successivement les organisations de la résistance polonaise, la MOI communiste (Main d’Oeuvre Immigrée) et la POWN (Organisation polonaise de lutte pour l’indépendance) rattachée au gouvernement polonais de Londres, commença par une simple querelle de voisinage, parmi les familles qui habitaient les baraques du Pré-Long, près du puits Darcy. La famille Sinnaeve (Joseph, son épouse polonaise Lucja née Zaba et leurs deux fillettes, Irène et Henriette – cinq et deux ans) logeait dans la baraque B, appartement 7 ; ils avaient beaucoup fréquenté puis s’étaient fâchés l’année précédente avec un jeune couple installé au logement F6 : Léon et Irena Myskowiak. Or, le soir du 4 mars 1944, Léon Myskowiak frappa vers 20 heures à la porte des Sinnaeve, chez qui il n'était pas entré depuis près d’un an. Imaginez la surprise, d'autant qu'il semblait légèrement éméché ; mais tout se passa bien d'abord, comme Lucja Sinnaeve le déclara quelques heures plus tard aux policiers :
« Nous avons parlé pendant un quart d'heure environ. La conversation a roulé sur divers sujets et notamment sur la rupture de nos relations. Aucune contrainte ne se faisait sentir de part et d'autre et nous parlions sans arrière-pensée, Nous étions assis tous trois autour de la table de la cuisine, les enfants jouant près de nous. A l'arrivée de Myskowiak, je n'avais pas été sans remarquer qu'il portait une arme dont la crosse dépassait, dans la poche intérieure gauche de son veston. Je lui ai demandé quel usage il voulait en faire. A quoi il m'a répondu qu'il en avait encore une dans la poche de son pantalon. Effectivement il nous montra vite un petit pistolet, ne conservant en main qu'un gros révolver qu'il manipula… »
Et son mari Joseph de poursuivre : « Aux questions que lui posait ma femme, il répondit que le gros révolver qu'il avait conservé dans sa main était bien chargé. Il l'a manipulé et allongeant le bras dans la direction de ma femme a dit : « Vous allez voir s'il n'est pas chargé ». Un coup est parti. Ma femme a poussé un cri. Elle a été atteinte par le projectile qui a traversé le bras gauche pour se loger sous l'aisselle à hauteur du sein gauche. Elle s'est enfuie chez sa mère. Je suis resté seul avec Myskowiak et mes enfants ; j'étais atterré ne réalisant pas ce qui venait de se passer. J'ai dit à Myskowiak de disparaître, que je ne voulais plus le voir après ce qu'il venait de faire. Il est parti sans prononcer une parole ».
Au logement voisin B2, où habitaient les parents de Lucja, son père, Franciszek Zaba, né en 1902 à Sosnowiec (Pologne), ne perdit pas la tête et fit la seule chose qui lui parut raisonnable : il se précipita au poste de garde du puits Darcy, à quelques enjambées de son domicile, pour y demander du secours. Jean-Marie Lacour, employé comme chauffeur par la Caisse de Secours des mineurs, était de garde avec son ambulance et conduisit immédiatement la jeune femme à l'hôpital des mines. Au passage, ainsi qu’il était probablement de règle en cas d’accident, il s'arrêta au commissariat de police et embarqua avec la blessée en direction de l'hôpital le chef de poste de la brigade de nuit, le gardien de la paix Francis Chandat. Ainsi à 21h15, une heure après les faits, la police était déjà au courant de cette blessure par balle et avait recueilli le nom du coupable : Léon Myskowiak. Un brigadier et deux gardiens de la paix partirent immédiatement à Darcy pour l'appréhender. Il n'était pas rentré chez lui, mais s'était réfugié chez Michał Stanek (49 ans), un de ses amis domicilié aux Georgets, hameau de la commune de Sanvignes, jouxtant la cité du Magny ; les policiers l'arrêtèrent là vers 2 heures du matin, le délestant des deux armes qu'il avait conservées. Ils l'embarquèrent immédiatement ainsi que Michał Stanek et qu'un troisième larron qui se trouvait là, un nommé Antoni Jazienski (40 ans). Pendant ce temps, Lucja Sinnaeve avait été examinée par le chirurgien de l'hôpital des Mines, le docteur Pont, qui constata que la balle, après avoir traversé le bras, avait pénétré le thorax par l'aisselle pour venir se loger contre la colonne vertébrale, de telle façon qu'il semblait impossible de l'extraire chirurgicalement ; la jeune femme était cependant sauve et le poumon n'avait pas de lésion grave.
Les premières arrestations
Elles se produisirent quelques heures seulement après que Léon Myskowiak eut été amené au commissariat. On comprend sans peine que le malheureux aura été pressé de questions, très probablement frappé et menacé d'être immédiatement livré aux Allemands, la possession d'armes le désignant comme un terroriste potentiel. La présence à Montceau du commissaire Marsac et de plusieurs de ses inspecteurs de la XIème brigade de Sûreté de Dijon, restés là depuis la grande rafle du 22 février, n'arrangea pas les choses. Immédiatement avertis de la capture, ils participèrent au premier interrogatoire et agirent en redoutables professionnels en se focalisant sur un objectif unique : obtenir noms et adresses de complices, afin de les cueillir sans attendre que la nouvelle de l'arrestation se répande. Léon ne résista pas longtemps à leurs méthodes et donna les noms de quatre garçons avec qui il reconnut avoir commis un cambriolage ; ainsi, dès 4 heures du matin, les arrestations suivantes étaient opérées :
- Le frère cadet de Léon, Jean Myskowiak, né le 10 mai 1924 à Saint-Vallier, domicilié chez ses parents, aux Gautherets,
- Le beau-frère de Léon, Casimir Flak, né le 12 novembre 1926 à Montceau-les-Mines, domicilié chez ses parents, 14 rue de Naples, au Bois-du-Verne,
- Władysław Pięta, né le 24 juillet 1925 à Kunowo (Pologne), voisin et ami de Casimir Flak, demeurant 6 rue de Naples, au Bois-du-Verne,
- Czesław Kruszynski, né le 18 novembre 1923 à Strzelno (Pologne), demeurant 20 rue de l'Archevault, au Bois-du-Verne également.
Tous travaillent à la mine, à l'exception de Casimir Flak qui, bon élève, fréquente l’Ecole Primaire Supérieure de Montceau, le nom donné au collège à cette époque… Le dossier de ce dernier, conservé aux archives SHD-DAVCC de Caen donne un récit de l'arrestation, fait par sa sœur aînée Czesława; épouse Kotewicz, dont le mari est en captivité :
« Je résidais alors chez mes parents (…) Au cours de la nuit du 4 au 5 mars, vers 4 heures du matin, j'ai été réveillée par le bruit de plusieurs voix provenant de notre cuisine. Je me suis levée et j'ai vu que plusieurs hommes, dont deux étaient revêtus de la tenue d'agent de police, parlaient avec ma mère et prétendaient qu'un révolver était caché chez nous. Ils avaient fait lever et habiller mon frère Casimir. Peu après ils sont partis et ont emmené mon frère ».
Imaginons un instant le désarroi de la mère de famille : son mari Czesław, né en 1901, est alors en Angleterre, au sein de l'armée polonaise qu'il a rejointe en 1939 ; ses deux gendres sont soit arrêté (Léon Myskowiak), soit prisonnier en Allemagne ; et voilà qu'on emmène le fils…
Les premières arrestations opérées, c'est tout un groupe qui maintenant va devoir parler. Le commissaire principal de Police de la circonscription de Montceau, Léon Kammacher, instruit surtout la blessure de Mme Sinnaeve ; dans la matinée du 5 mars, il interroge Léon Myskowiak puis le confronte à Joseph Sinnaeve. Léon ne trouve aucune explication à son geste, d'autant dira-t-il qu'il était venu chez les Sinnaeve avec la seule intention de faire la paix ; il invoque seulement l'excitation due à son état d'ébriété. Dans son rapport le commissaire lui en donne volontiers acte car le couple Sinnaève ne dit pas autre chose. Il enregistre également l'aveu d'un cambriolage commis le mois précédent dans une épicerie du quartier des Gautherets, tenue par la veuve Kaczmarek. Les policiers de Montceau ne connaissaient pas cette affaire car l'épicière n'avait pas porté plainte, sans doute par crainte de représailles.
Tout ce qui est lié à la détention d'armes et à l'organisation terroriste relève du commissaire Marsac ; les perquisitions opérées dans la nuit à l'occasion des arrestations ont permis de saisir un autre pistolet, des munitions et divers papiers. Les explications sur l'origine des armes sont confuses ; seul le révolver à barillet que portait Léon est tracé : c'est une arme très usagée qui lui serait parvenue d'un ancien voisin du Pré-Long, Ignacy Ratajczak, parti récemment demeurer aux Gautherets dans un meilleur logement. Au moment du déménagement, il lui aurait laissé ce vieil objet qu'il avait trouvé dans le canal du Centre. Croyant sans doute que l'histoire passerait aisément, tant elle se voulait anodine, Léon venait de lâcher le nom le plus précieux du lot car Ignacy Ratajczak, né le 25 juillet 1908 à Ostrowo, était depuis 1942 membre du triangle de direction de l'organisation MOI du Bassin-Minier et chef de la section du Magny. Les policiers ne le savaient certainement pas encore quand ils procédèrent à son arrestation, dans la nuit du 5 au 6 mars 1944.
Le lendemain 6 mars, Léon Myskowiak et ses cinq camarades sont emmenés à la Maison d'Arrêt de Chalon-sur-Saône ; ils rejoignent les cellules dites de passage, où ils vont retrouver les résistants des organisations françaises arrêtés par la police de sûreté de Dijon depuis la rafle du 22 février ; ils y seront à nouveau interrogés, avec plus ou moins d'insistance… Sans attendre la suite de l'enquête, le juge d'instruction a immédiatement inculpé Léon de coups et blessures contre Lucja Sinnaeve et a délivré contre lui un mandat de dépôt ; en conséquence, le lendemain 7 mars, il est séparé de ses camarades et passe à la section des détenus, autre quartier de la prison de Chalon.
Démantèlement partiel de la MOI, conséquences pour la POWN
Comme il est procédé parallèlement avec les Français, d’interrogatoires en nouvelles arrestations, c’est toute la MOI de la rive ouest du canal qui est démantelée (Darcy, Magny, Gautherets, Baudras). Seulement dans les rangs polonais, ce n’est pas seulement l’organisation de jeunesse qui tombe, mais aussi celle des adultes, Ratajczak finissant par dévoiler son rôle et donner d’autres noms.
Aux six premières arrestations de la nuit du 4 au 5 mars, va succéder un grand coup de filet le 10 mars avec seize nouvelles arrestations, toutes correspondant encore à des gens de la MOI.
Et les chutes vont continuer jusqu’en mai : onze encore les 22 et 31 mars, six en avril, trois en mai.
A partir de la fin mars, c’est surtout l’organisation POWN qui va être touchée (onze arrêtés), les hommes de Marsac ayant bénéficié de confessions sur des hommes qui se situaient à cheval sur plusieurs appartenances ; ainsi les frères Borowik de la cité Sainte-Marguerite étaient affiliés à la section de quartier de la POWN mais fréquentaient des copains appartenant aux FUJP (Joseph Erbi et les frères Duperrier, qui citèrent leurs noms) ; ainsi aussi de la famille Banaś, dont le père était à la MOI et le fils à la POWN…
Notons que dans ses analyses et rapports, le commissaire Marsac ne comprit pas à qui il avait à faire. Pour lui, tous appartenaient à la même organisation « communo-terroriste » polonaise. Comme il se trouve que plusieurs POWN habitaient la Saule, il en déduisit simplement qu’ils constituaient cette cellule communiste polonaise de la Saule qui manquait à son tableau de chasse.
Dans cette période, les policiers de la XIème brigade capturèrent donc quarante-deux membres des organisations polonaises de résistance ; ceux-ci eurent le même destin que leurs camarades français dont on connaît maintenant l’histoire : prisons de Chalon-sur-Saône et Besançon, puis déportation au camp de Dachau. Onze allaient y mourir.
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